Ce matin là, quand Estelle l’accompagnait chez le docteur Parkinson pour son premier rendez vous, il faisait frais. Rochel avait rapidement enfilé une veste noire par-dessus sa chemise blanche, avant de rejoindre sa sœur à la place du mort, soupirant avec lassitude. Il posa un instant sur elle son regard terne, auquel elle répondit par un sourire gêné qui se voulant encourageant avant de démarrer le contact. Pour sa part, le jeune homme s’enfonça légèrement dans son fauteuil et plongea son regard à l’extérieur. Comme la veille, où avait eut lieu l’enterrement de sa fiancée, il se mettait à pleuvoir. Il voyait son reflet pâle déformé par les gouttes d’eau qui ruisselaient sur la vitre avec une lenteur triste qui l'incitait à cesser de retenir les larmes douloureuse qui rougissait ses yeux cernés. Il mourrait d’envie de fermer les yeux, de se laisser porter par un sommeil réparateur qui lui redonnerait au moins quelques petites forces, juste assez pour se ressaisir, mais derrière ses paupières closes l’attendaient ses cauchemars. C’était une chose horrible de ne pas pouvoir dormir lorsqu’on est hanté par des visions qui vous retourne l’esprit, et c’est encore pire d’avoir perdu l’espoir d’un jour pouvoir fermer l’œil en toute sérénité.
Dans la salle d’attente, il n’avait pas envie de parler. En réalité, il n’avait plus vraiment envie d’être là. A quoi bon se soigner si Alice n’était plus là pour voir ses efforts ? Qu’importe qu’il sombre dans la démence à cause des images répétées qui troublaient régulièrement ses repos, il se sentait si vide et démuni sans elle que ce trou noir pourrait aspirer le monde entier et imploser avec lui. De temps à autre, la secrétaire à la mine fermée lui jetait des regards professionnels, comme pour s’assurer qu’il n’était pas un sujet qui risquait de perdre le contrôle d’un moment à l’autre, puis l’invita à rejoindre le docteur Parkinson après une quinzaine de minutes de patience. Estelle lui serra la main en signe d’encouragement, puis le jeune homme disparut dans le bureau du psychiatre qui allait lui exposer les méthodes de la thérapie. L’idée d’être hypnotisé effraya un instant Rochel qui voyait déjà venir le sommeil incontrôlé bercé de cauchemars, mais les paroles rassurantes du médecin le convainquirent de se laisser prêter au jeu, et voilà que bientôt, il son esprit s’endormait dans le monde réel et se réveillait… à Elipse.
Rien.
La pièce était vide, même froide, comme si personne n’y avait jamais travaillé régulièrement. Intrigué, l’américain se levait et inspectait les lieux avec lenteur, avant de revenir au centre du bureau et de faire halte en renvoyant ses cheveux à l’arrière de son crâne d’une main nerveuse. Il ne comprenait pas, et il avait peur que ceci soit une conséquence de l’hypnose et que désormais, il était en plein dans un mauvais rêve d’un réaliste saisissant. Cherchant brusquement dans chacune des poches de sa veste, il se rendit compte qu’il n’avait plus rien ; ni papiers, ni argent. Soit. Soit il délirait, soit il rêvait vraiment, soit ce docteur Parkinson était un beau charlatan et il saurait lui faire savoir.
Rochel s’approcha d’une fenêtre et constata que la nuit était tombée. Lui qui était parti au rendez-vous en début de matinée… mais ça n’était pas ça qui l’intriguait le plus. Le long de la rue qu’il apercevait, de grands échafaudages de rénovation se répartissaient sur plusieurs bâtiments, comme si San Francisco avait été victime d’une attaque pendant sa transe hypnotique. Aurait-il été possible que pendant sa thérapie, le pays soit attaqué par une nation quelconque, et qu’il soit resté inconscient plusieurs jours ? Non… sa sœur ne l’aurait pas abandonné comme ça. A moins que…
Pris de panique, le jeune homme se rua hors de la pièce pour regagner la salle d’attente. Personne. Fébrile, il appela plusieurs fois Estelle, puis s’essaya avec le docteur Parkinson, mais rien d’autre ne lui répondit que les échos de sa voix sur les murs muets et froids. A l’extérieur, il cherchait frénétiquement des yeux un visage connu, avant de remonter l’avenue en quête de la voiture de son ainée, mais il n’y avait rien, toujours rien qui ne lui rappelait sa San Francisco. Il se figea une fois parvenu en haut de la rue, puis se mit à réfléchir, les bras ballants, ses yeux plongés dans un vide insondable. Et s’il rêvait ? Et si c’était un cauchemar ? Et si… il s’attendait à voir les contours du décor se déformer, à entendre des voix angoissantes lui susurrer des paroles inaudibles, mais rien. Un homme qui semblait rentrer de son travail le croisa, mallette à la main, et Rochel se précipita vers lui ostensiblement paniqué.
- Excusez-moi ! Je… je ne sais pas trop ce qui s’est passé, j’ai été voir un docteur un peu plus bas dans la rue et… j’me suis réveillé là et… je ne comprends pas trop. J’habite San Francisco depuis des années pourtant. Vous euh… enfin…
Son interlocuteur écarquilla brièvement les yeux avant d’accélérer le pas. Il grommela quelque chose comme « C’est Elipse ici… saleté de voyageur. », ce qui n’aida pas le jeune américain pour un sou. Cependant, tandis qu’il essayait vainement de comprendre cette phrase dédaigneuse, ses exclamations maladroites n’avaient pas échappées à Bernard, un assistant de Franck Einstein qui s’était octroyé un petit séjour à la capital dans l’histoire de dénicher de nouveaux voyageurs à la source. Assis sur le capot d’une voiture de la rue d’en face, il n’eut qu’à dégainer une sorte de petit revolver futuriste pour viser le dos de Rochel. Ainsi, quand la petite décharge expédiée atteint le jeune homme, celui-ci sombra dans l’inconscience avant même de réaliser quoi que ce soit.