« Etes vous prêts à rentrer dans la légende chers amis ?! »

Cette phrase avait retenti d'un écho enjoué dans tout le vallon, au fond duquel se trouvaient un hameau insignifiant qui ne figurait même pas sur les cartes. Il était habité par quelques vieillards reclus, et maintenant une nouvelle jeunesse qui ne resterait pas longtemps dans ce trou à rat. Le plus vieux des vieux parlait à ces jeunes personnes alignés devant lui. Il déclara tout en se triturant machinalement sa moustache d'un air énigmatique :

« Le dernier héros porteur de la lame de légende est mort il y a deux jours. Comme conformément à ses dernières volontés, il faudrait que nous replacions son épée à son lieu de sommeil, jusqu'à ce qu'un nouvel aventurier, au destin héroïque, revienne réclamer cet héritage pour lutter contre le mal. »

Il disait cela d'un air las, comme celui qui répète une nouvelle fois un discours déjà prononcé à trop de reprise. Il respira un bon coup, puis reprit :

« Gravissez les plus hauts sommets des monts Olympiens, et trouvez la caverne bénie d'où s'écoule le torrent étanchant notre soif et qui nous désouille. Enfin sur l'autel séculaire, replantez l'épée sacrée dans son socle de roche. Le nouvel élu vous remerciera... » * Et pitié, débarrassez nous de ce truc !*

Le vieillard saisit un objet long de plus d'un mètre cinquante empaqueté dans du linge blanc. Il semblait lourd. Il ne traina pas à refiler le colis à ses employés, leur faisant signe qu'il ne fallait plus perdre de temps. Il montra alors un chemin et un escalier taillé à même la roche pour sortir de la cuve naturelle. Et à quelques lieues de là, les monts olympiens faisaient barrage à l'horizon. Ils étaient si hauts qu'ils passaient par dessus les nuages. Quand on regardait la montagne, on avait automatiquement le vertige par tant de gigantisme.

Au pied de la montagne, sur plusieurs versant, il y avait un escalier étroit et endommagé qui montait à une centaine de mètre d'altitude en tournoyant, jusqu'à des plateaux où régnait une nature sauvage. Pour grimper après cela, il fallait compter sur ses propres moyens.

Une fois sorti du vallon, nos valeureux messagers de la légende ne pouvait déjà imaginer l'ampleur de leur voyage. Une voix sorti de nulle part retentit, vigoureuse :

« Alors les mecs, vous êtes prêts ! Explorons les donjons, pourfendons des hordes de monstres, allons croiser le fer avec le chevalier noir ! A l'aventure compagnons, je suis parti vers l'horizon... ! »

Finit-elle par chantonner.

C’était motivée et prête à supporter de périlleuses aventures que Selene s’était rendue à ce job. Après tout, personne ne l’y avait forcé, et toujours personne ne lui avait mit le couteau sous la gorge pour se rendre dans le petit hameau peuplé de vieillard recevoir sa mission avec plusieurs autres voyageurs dont elle connaissait certains au moins de vue. L’homme qui les avait accueillit paraissait, sans pourtant que l’adolescente ne veuille se permettre la moindre méchanceté, plus proche de la vieille épave ayant accumulé plusieurs années au fond des mers que de l’être humain véritable. Il leur débita une énigmatique consigne agrémentée d’un commentaire personnel qui témoignait de l’affection qu’il portait à l’objet du périple, avant de remettre dans les mains de la toquée – qui était la plus proche de lui – un lourd colis qui demandait déjà un travail conséquent à ses bras fins vêtus d’un gilet noir. Le vieillard semblait manifestement pressé de se débarrasser de ses employés, et il leur indiqua un escalier taillé dans la roche qui allait permettre à la troupe de voyageur de sortir de la cuve pour se mettre hâtivement en route.

C’est donc intriguée que la galloise faisait ses premiers pas dans ce job qui s’annonçait étrangement encore plus périlleux qu’elle ne l’aurait pensé. On ne leur avait pas donné le moindre matériel pour s’aider, et rien que regarder les montagnes qui barraient l’horizon donnait un tel vertige que leur ascension à mains nues en bons amateurs relevait au mieux de la difficulté extrême, au pire du suicide. Avec un soupir qui voulait simplement dire « bah, on verra quand on y sera. » à défaut d’autre chose de plus convaincant, Selene observa les alentours de la plaine aux collines d’un air distrait, n’osant pas vraiment aborder la conversation la première. Parfois, elle crut voir gambader un lièvre sûrement en quête de quelque chose à manger à cette heure plutôt matinale, mais son attention ne fut captivée que par le long fleuve qu’elle finit par apercevoir, coulant avec un naturelle à tout épreuve depuis les Monts Olympiens hauts et fiers.

- Dans l’énigme du vieux, il était question d’un torrent qui étanche la soif non ? Et s’il voulait simplement parler de la source de ce fleuve ? On devrait peut-être le garder en vue…

A vrai dire, l’adolescente ne savait pas vraiment ce que sa proposition valait, mais elle avait au moins eut le mérite de briser la glace en engageant un brin de causette. Cependant, ce à quoi elle ne s’attendit pas, c’est que sa déclaration soit complètement mise de coté par une voix enjouée sortie apparemment de nulle part pour chantonner vigoureusement des paroles chevaleresques. Après avoir vivement tourner la tête de droite à gauche, tout à fait intriguée, la toquée finit par porter ses yeux marron sur le paquet qu’elle tenait en main depuis que le vieillard le lui avait confié. La conclusion qui s’imposait à elle était si loufoque qu’elle n’osait pas encore la formuler à haute voix ; pourtant, ils étaient à Dreamland et depuis le temps, elle savait que tout ce qui était de l’ordre de la bizarrerie la plus total était parfaitement admissible.

- C’est moi ou bien l’épée… chante ?!

Sans pouvoir résister, elle défit les nœuds qui gardaient attachés le linge blanc pour révéler une arme très particulière. La longue lame aiguisé était elle parfaitement conforme aux attentes que l’on pouvait avoir parlant d’une épée, à la différence près qu’elle était gravée de fines courbes décoratrices à la base. L’étrangeté résidait dans le manche en argent : parmi toutes les pierres précieuses qui y étaient incrustée, l’une d’elle – la plus grosse – placée précisément au centre brillait légèrement et un visage constitué d’éclat de lumière qui ressemblait vaguement à un masque sans réel visage (Hrp : par exemple le miroir dans Shrek1) dansait allègrement au rythme de la chansonnette. Si la conscience que l’objet était précieux n’était pas revenue à elle assez tôt, Selene aurait laissé l’épée tomber sous le coup de la surprise.


[Hrp : pas très long pour cette fois, mais pour un début de job bah... sachant que je ne sais même pas qui sont mes coéquipiers, c'est difficile T-T lol]

Ces montagnes, Serena les auraient reconnues entre toutes : les monts Olympiens. Et c’est après avoir longuement circulé entre deux d’entres elles que la jeune fille découvrit tout ce qui avait l’air d’être un petit village. Les constructions en bois avaient visiblement souffert de l’accumulation d’humidité et de pluie et il devenait de plus en difficile de progresser sur ce sol à la limite du marécage. Par on-ne-sait quel hasard, elle s’était de nouveau retrouvée vêtue d’un short, et d’un simple t-shirt. Et elle leva les yeux au ciel en signe de remerciement en découvrant des baskets à ses pieds et un gilet accroché à sa taille. Sa chevelure était relevée en une simple queue de cheval mais lorsqu’elle se déplaçait, ses cheveux chatouillaient ses omoplates.
Finalement, un attroupement de personnes sur un semblant de place centrale attira son attention et elle s’installa sans un bruit aux côtés des autres voyageurs qui attendaient le discours du vieillard à la barbe incroyablement longue.

Son discours enflammé eut le don de mettre la jeune fille mal à l’aise. Auraient-ils été dans un mauvais film épique que ça n’aurait rien changé. En tant que retardataire, Serena n’osait que très peu lever le regard vers ses compagnons, surtout qu’elle n’en reconnaissait aucun. La tension montait tandis que le vieillard poursuivait son discours dans une sorte de langage codé. Ainsi, ils devaient tous retrouver le sommet des monts Olympiens. Une épreuve de taille, puisqu’elle avait le souvenir d’avoir déjà été confrontée à cette épreuve. Une de ses mains frôla le doigt où aurait du se trouver la bague qui l’aurait téléportée au QG caché dans les montagnes. Mais rien, il n’y avait rien. Le destin avait le don de jouer avec ses nerfs, et elle lâcha un soupir, un brin trop fort peut-être.

Le vieil homme se débarrassa d’un objet bien plus grand que lui et c’est une jeune fille qui s’en empara. Elles étaient visiblement du même âge, mais l’adolescente s’enfonça un peu plus dans le sol boueux tout en essayant avec difficulté de maintenir l’épée enveloppée hors du sol. Elle était sacrée, après tout. Sans comprendre la raison qui la poussait à réagir, Serena plaça un pied devant l’autre, puis un autre et un encore un autre jusqu’à arriver au niveau de l’autre jeune fille. Finalement, elle attrapa une extrémité du paquet et l’aida à le porter. La jeune fille n’osa vérifier si d’autres voyageurs avaient ne serait-ce que bouger le petit doigt pour l’aider. De toute manière, elle n’en eut pas le temps puisque le vieil homme les incita ouvertement à quitter ce hameau perdu part un escalier des plus inquiétants. Les marches avaient été taillées de manière grossière, et de la végétation humide s’étaient amusée à recouvrir partiellement la roche. Plus qu’un escalier, il s’agissait d’un véritable toboggan, et maintenant équipées de l’épée qui faisait son poids, il n’était pas sur que les deux jeunes voyageuses tiennent longtemps dans cette aventure périlleuse.

La jeune fille de son âge finit par prendre la parole. Elle énonça une évidence à laquelle Serena voulut répliquer, mais ses lèvres se refermèrent et elle garda le silence. Le vieillard aurait au moins pu les équiper de tout le nécessaire d’escalade, mais peut-être que d’autres avant avaient essayé… L’adolescente réprima un tremblement. Au moins, la jeune fille était en possession de son nécessaire à dessin. Cette voix irritable, enjouée et totalement inappropriée à la situation venait encore de s’élever du petit groupe de voyageurs. Pourtant, il était impossible de savoir d’où exactement elle provenait. La jeune fille qu’elle aidait, fut plus rapide qu’elle, et se mit en quête de défaire l’étui de fortune de l’épée. Ainsi, c’était elle qui parlait et chantonnait inlassablement. Serena écarquilla les yeux. Hallucinait-elle ? Ce ne serait pas la première fois. Mais depuis qu’elle était ici, elle partageait ses visions avec son entourage. Voilà qui facilitait les choses. Dans un soupir, elle confirma la théorie de sa collègue.

- Non, tu as raison. Elle chante…

Ses yeux ne se détachaient pas de l’arme magnifique : brillante, propre, dégageant une aura lumineuse grâce à ses pierres précieuses. S’ils se décidaient à vendre cette épée, ils pourraient en dégager une petite fortune. Certainement plus que la récompense promise pour la fin de la quête… Non, il y avait un problème. Pourquoi ce vieillard aurait-il cherché à se débarrasser de ce joyau ? Quelqu’un de peu recommandable souhaitait-il s’en emparer ? Et cette chose qui bougeait dans une des pierres au niveau du manche de l’épée, quel était son rôle ? Une malédiction pesait-elle sur cette arme, d’où le terme de « sacré » qui la qualifiait ? Après tout, Serena avait apprit à ses dépends que les habitants locaux étaient prêts à tout pour aguicher les aventuriers peu prudents.
L’adolescente aurait bien voulu s’adresser directement au visage fantomatique qui hantait la pierre rougeoyante, mais l’ensemble des regards était tourné vers l’épée étrange, et elle se ravisa. Il était préférable de voir de quelle manière les personnalités réagiraient, et si quelques uns d’entre eux se décideraient à se présenter.

Plusieurs fois, Selene essaya de sa petite voix d’interrompre le chant vaillant de l’épée Fyrionne qui allait crescendo, mais le petit visage dansant au cœur du joyau central ne lui accordait pas la moindre attention. Elle ne savait pas si c’était volontaire ou pas, mais en tout cas, chanter semblait être sa vocation, et celle des voyageurs allait apparemment être celle de supporter l’objet sacré. L’adolescente redressa la tête vers sa collègue, qui l’aidait à porter le paquet, et lui adressa un sourire timide avant de profiter d’un diminuendo dans les déclamations de la lame pour glisser :

- Je crois qu’elle ne se taira pas… on va sans doute devoir faire avec…

Elle eut une mimique gênée et reporta son attention sur la route qui se déroulait toujours paresseusement devant eux, monotone et calme. Au milieu des collines couvertes de hautes herbes, la route conduisant aux monts Olympiens serpentait légèrement, parallèle à un grand fleuve plat qui reflétait le ciel gris. Il allait sûrement pleuvoir, et ça n’était pas pour faire plaisir à la toquée, car une intempérie ne ferait que rendre leur voyage plus périlleux encore. Peut-être avait-elle un peu exagéré sur son CV en disant que ses mésaventures Dreamlandiennes l’avaient endurci à toutes épreuves… elle n’en demeurait pas moins une adolescente de 15 ans de constitution plutôt faible, et l’idée de grimper à mains nues des montagnes plutôt hautes que n’importe laquelle des tours qu’elle avait jamais vu commençait à lui nouer l’estomac.

- Au fait, je ne t’avais jamais vu avant, alors je connais un peu la plupart des autres. Moi c’est Selene. Et toi ?

Voilà que le petit groupe avait atteint les premières marches de pierres encastrées dans les hautes parois rocheuses. Elles étaient trop étroites pour tenir à deux l’une à coté de l’autre en tenant l’épée, et la galloise se désigna pour aborder avec lenteur l’ascension en marche arrière, maintenant leur colis par le manche qui s’était mit à piailler de plus belle ses chansons chevaleresques. Ce n’était pas chose facile : les paliers irréguliers étaient totalement imprévisibles, et plus d’une fois, la jeune fille se retrouvait à tomber sur son derrière avec un prime un coup d’épée sur la tête. D’ailleurs, cette dernière se mettait à rire avec enthousiasme avant de se remettre à chanter, ce qui était bien la preuve qu’elle percevait parfaitement le monde extérieur. Selene comment à comprendre pourquoi le vieil homme était si pressé de s’en débarrasser, et même si elle savait parfois faire preuve d’une patience naïve sur les bords, le petit manège incessant de l’objet sacré commençait à lui taper sur les nerfs. Mais avec la montagne rugueuse d’un coté, et le vide de l’autre, il n’était pas question de se laisser aller à une explosion de colère.

Après une énième chute qui eut pour conséquence de recevoir sur son pied droit la partie de Fyrionne qu’elle tenait, l’adolescente entendit juste au dessus de sa tête un sifflement caractéristique qui la fit bondir sur ses jambes pour ensuite faire vivement volte face. Juste deux marches plus hauts, se tenait un serpent d’un peu plus d’un mètre de long, qui ressemblait à s’y méprendre au le tricot rayé du monde réel, si ce n’était qu’il était munit d’un de ces bruiteurs ordinairement propre aux crotales. A en voir les crachotements mécontents qu’il adressait aux grimpeurs amateurs, le reptile avait été dérangé dans sa sieste autant par la chute de la rouquine que par le chant répétitif de l’épée. Plantée devant l’animal, la galloise n’osait plus avancée. Pourtant, désormais qu’ils avaient monté plusieurs bons mètres, ils n’allaient pas redescendre pour emprunter un autre escalier… d’autant qu’il y avait des chances qu’il soit aussi infesté par des serpents ou tout autre créature vivante qui appréciait l’habituelle tranquillité des montagnes. Il allait bien falloir faire quelque chose pour se débarrasser de l’obstacle car son petit doigt disait à Selene qu’il ne laisserait pas plusieurs paires de jambes lui passer par-dessus sans faire connaitre sa façon de penser à un ou deux mollets. Stressée par le bruit strident de la sonnette et les dents aiguisées qui jaillissaient de temps de manière de plus en plus persuasive, la toquée dépassa rapidement son seuil de tolérance à l’angoisse. Tandis qu’elle s’imageait mentalement un épouvantail digne de la rassurer, voilà qu’elle se transformait elle aussi pour revêtir son habituelle chemise à carreaux bleus et ses bras de branches dénués de mains.

Après quelques inspirations qui cherchaient à la rassurer dans ce corps qui lui était salvateur, elle réalisa alors ce qu’elle pouvait faire. Avec précaution, elle grimpa une autre marche pour se trouver au plus porche de l’animal qui agita son bruiteur avec une méfiance furieuse. La jeune fille déglutit, et approcha lentement un bras jusqu’à le glisser sous le corps fin du reptile qui choisir cet instant pour tenter de la mordre… sans succès. Ses dents s’écrasèrent sur le bois, et quelques goutes de son venins bleuté tombèrent sur le sol. Alors que Selene le soulevait précautionneusement, la bête réitérait l’attaque plus en amont, puis carrément sur la poitrine de paille, ce qui fit sursauter l’épouvantail en herbe… mais rien. Un peu plus confiante, elle positionna le serpent au dessus du vide qui les jouxtait à leur droite, et après quelques excuses bafouillées, elle lâcha l’animal sans autre forme de procès, avec un pincement au cœur. Elle n’était pas de celles que ça amusait de faire du mal aux bêtes, et même si celle-ci était armée de crocs et de venin, elle ne faisait pas exception à la règle.

La galloise se tourna vers Selene d’un air gêné, avant de dire :

- Voilà, c’est… mon pouvoir… mais j’aurai du mal à t’aider pour le moment. Je ne sais pas quand je deviendrai normal… la durée n’est jamais précise…

En fin de compte, aucun des autres voyageurs présents ne se décida à entamer les présentations. A l’exception de la jeune Selene qui avait tout de même fait preuve de courtoisie face à l’aide de Serena. Au commentaire de sa binôme, l’adolescente ne contenta d’acquiescer. Au fur et à mesure de leur progression, ils auraient tous l’occasion d’en apprendre plus sur l’histoire de cette épée. Peut être même que Fyrionne chanterait sa propre histoire, car après tout, Serena était dans le monde des rêves.
Sa partenaire semblait d’humeur à bavarder, ce qui n’était pas chose aisée pour Serena : elle avait déjà bien assez de mal à placer un pied devant l’autre avec cette épée aussi encombrante que lourde. Avant d’être coupée dans son élan, elle amorça sa réponse, veillant à utiliser les bons mots pour se présenter.

- Tu peux m’appeler Serena. Comme tu l’as constaté, je suis arrivée… ici, il y a peu. Pour être honnête, je…. aaaAAh !

Voilà, elle venait de rejoindre le sol pour la première fois, en ayant manqué la première marche de l’escalier. A peine le voyage avait-il commencé qu’elle faisait étalage de sa maladresse. Pourtant qu’allait-elle dire ? « Pour être honnête, j’avais hâte de commencer cette aventure ? ». Pour quelle raison, les gens ? Ils ne lâchaient mot. Le paysage ? Certes il lui changeait de ces tours de San Francisco mais le temps maussade et le sol boueux l’avaient laissée perplexe. Les péripéties ? Des marches d’escaliers glissantes qu’elle avait manqué en raison de sa vue défaillante, et une épée bavarde qui ne chantait que des choses inutiles. Que du bonheur en ce début d’aventure. La jeune fille soupira alors qu’elle essayait tant bien que mal de se relever sans échapper l’épée maudite qui riait à tout bout de chant lorsque ses deux portières trébuchaient. Au bout d’un moment, plus qu’agacée par ces moqueries incessantes, Serena laissa échapper quelques mots entre ces dents serrées.

- … plutôt que de rire à tout bout de chant, tu ne voudrais pas plutôt nous « parler » de toi ? …

L’épée en question sembla l’ignorer, mais arrêta néanmoins ses rires moqueurs. Il faut dire qu’un élément perturbateur vint interrompre la joyeuse troupe : un serpent. Un serpent pour le moins effrayant : par sa taille qui avoisinait les un mètre de long, et ses crocs, tout aussi impressionnant. Serena en avait déjà vu dans des émissions : de jolis serpents décorés de bandes de couleurs qui s’alternaient : ici, le noir et le blanc. L’adolescente était à l’image de l’animal : aussi impressionnée qu’effrayée. Mais son engouement pour la bestiole avait prit le dessus sur toute autre réaction normale et elle se mit en tête de mémoriser chaque trait de l’animal pour le redessiner plus tard, lorsque ses mains seraient vides.

- Tu sais, il…

… il n’est pas méchant. Mais ses quelques paroles étaient tombées dans l’oreille d’un sourd. Selene, par on-ne-sait quel tour de magie, avait troqué sa tenue somme tout ordinaire pour une chemise à carreaux parsemés de brins de paille. Elle faisait maintenant face à l’animal, aussi apeuré qu’elle, mais néanmoins dangereux. De dos, elle avait tout à fait l’allure d’un épouvantail, c’était étrange. Dommage que ce premier ennemi n’ai pas été un volatile. Quoi qu’il en soit, elle se débarrassa du reptile comme une professionnelle et sans lui faire de mal. Ce ne fut pas le cas pour elle : comment se sentait-elle après avoir encaisser une voire plusieurs morsures empoisonnées ? Mais rien, elle était comme neuve. A un détail près peut-être : ses bras s’étaient affinés et durcis pour devenir des branches, tandis que son buste, empaillé, aurait pu servir d’oreiller. Serena ne put s’empêcher de hausser les sourcils alors que sa bouche, entrouverte, ne pouvait laisser exprimer son ressenti. Mais, que dire ? Plutôt que de bafouiller quelques paroles inutiles, la jeune fille se laissa le temps de se ressaisir. Ainsi, plusieurs longues secondes s’écoulèrent.

- Je devrais être habituée à ce genre de phénomènes maintenant… En attendant, tu as été efficace, Selene. Merci.

Cela dit, maintenant elle serait bien incapable de l’aider à porter l’épée, et seule dans ces escaliers sadiques, l’avancée se ferait à … reculons. Optant pour la prudence, Serena déposa le côté de l’épée qu’elle tenait encore, et s’assit. Elles devraient prendre leur mal en patience. Enfin stable, la jeune fille s’autorisa à lever la tête vers la quantité de marches qu’il leur restait à gravir. De quoi en décourager plus d’un, sauf qu’elle eu un flash. Le serpent, les émissions, les flaques d’eau… Il y avait forcément un lac plus loin, plus haut. De quoi boire donc, se laver éventuellement, mais aussi… une plaine. Ces centaines de marches lui parurent soudain factices : elle savait vers où elle allait.

Les compliments de Serena l’avaient fait rougir. La galloise détourna un instant son regard en s’asseyant à son tour sur l’une des marches de pierre. Un coup d’œil en contrebas lui appris que leur groupe avait déjà parcouru une bonne partie de route, mais un autre vers les sommets invisibles des monts indiquait que ce n’était rien comparé à ce qu’il leur restait à vivre. L’épée s’était accordée une trêve dans ses chansonnettes, ronronnant silencieuse ses airs d’une façon si basse en comparaison que c’était un véritablement soulagement auditif. Selene s’autorisa un soupir mais n’osa pas faire la moindre remarque, des fois que ça donne au petit visage fluorescent l’envie de s’exclamer de plus belle.

- De rien…, marmonna-t-elle un peu à retardement.

Elle ne savait pas comment meubler une pause dans une situation aussi inconfortable, et n’avait qu’une seule hâte, c’était de retrouver son apparence originelle pour pouvoir recommencer à aider sa collègue à porter leur fardeau. Reprendre l’ascension d’un escalier abrupte était une très bonne raison pour ne pas se perdre dans le dialogue puisqu’il devait être judicieux de ne pas gaspiller d’oxygène pour cet exercice. Pourtant, l’adolescente réalisait qu’elle commençait à prendre l’habitude de son apparat d’épouvantail, et même de se sentir à l’aise, de sorte que son angoisse retomba bien vite, à tel point que son attention de perdit dans l’observation d’un papillon qui entreprit de virevolter non loin d’eux.

Finalement, la jeune fille recouvrit son corps, et avec un soupir ambigu entre déception et soulagement, elle adresse un sourire à sa partenaire, replaça ses cheveux derrière ses oreilles et reprit en main la partie de l’épée qu’elle était chargée de porter. Manifestement, pour le moment, leurs autres collègues n’avaient pas l’air de vouloir se mouiller plus qu’en suivant le cortège passivement, et à défaut d’être une égoïste cupide qui souhaitait qu’une plus grosse portion du salaire ne lui revienne, la galloise se dit qu’ils allaient sûrement intervenir plus tard, au moment propice. Après tout, on a pas besoin d’être plus de deux pour porter leur chargement, a fortiori lorsque la route est si étroite.

L’ascension se poursuivit, monotone, au rythme irrégulier des marches de la montagne, et bientôt, le petit groupe atteignait un premier plateau. Il était relativement large, à moitié couvert d’une végétation paresseuse qui se prélassait sous la lumière tamisée qui filtrait des épais nuages de pluie de cette après-midi. Deux petits arbres étaient couverts de petites baies sauvages grosses comme des cerises et encastrée dans la roche de la montagne, une petite cavité basse de plafond évoquait un abri de fortune. Alors que Selene cherchait des yeux la suite des escaliers, une première goutte lui tomba sur le nez, et à peine eut-elle le temps d’indiquer la petite cachette d’un signe de tête que l’averse venait frapper les hauteurs avec une force suffisante pour que les voyageurs préfèrent rester à couvert un moment.

La galloise s’assura d’abord que Fyrionne était bien hors d’atteinte de la pluie, puis se recroquevilla avec les autres sous le pan de roche, avec la désagréable impression qu’il laissait de vouloir s’écraser sur eux. L’éclat les gouttes sur le sol parvenait à la mouiller malgré tout, et un petit coup de vent lui donna la chair de poule. L’adolescente serra sur sa poitrine son gilet de laine avant de croiser les bras pour se réchauffer avec sa propre chaleur, puis jeta un regard timide à Serena, qui ne l’avait pas quitté.

- Je n’ai pas aperçut d’autres marches… tu crois qu’il va falloir que l’on grimpe à mains nues désormais ?

Elle réfléchit un instant, espérant trouver une autre solution mais… il ne semblait pas y en avoir. Les vieux avait juste été pressés de se débarrasser de leur fardeau, sans prendre la peine de leur expliquer clairement la route, ou de leur donner quoique ce soit pour parvenir à leur fin. Et si c’était une mission suicide ? Peut-être bien que tout avait été organisé pour qu’ils se perdent avec Fyrionne en montagne, ainsi, ils seraient débarrassés de cette épée qui avait l’air de leur causé tans d’ennuis. Cette pensée diffusa dans les veines de Selene une angoisse qui accentua ses tremblements déjà dus au froid. Distraitement, elle dessinait du bout d’un doigt mouillé dans la pluie des silhouettes d’épouvantails sur des portions de pierre sèche, et sans le vouloir, déclenchait son pouvoir qui atteint Serena.

Zephyr n’avait aucunement hésitée pour ce Job. Elle avait besoin de changement et cette quête tombait justement, au bon moment.

Cela faisait des heures qu’elle marchait vers le lieu de rendez-vous. Elle s’était tordue la cheville et écorché le genoux mais avançait toujours à une allure raisonnable, ignorant la douleur qui lui sciait le bas de la jambe à chaque foulée. Finalement, elle aperçut le petit village dans lequel elle,devait commencer sa quête. Elle se dirigea vers la place, où se trouvait un petit groupe de personnes, toutes inconnues, dont un vieux bonhomme qui semblait attendre le silence pour commencer son discours. La Traumatisée pris place derrière le reste du groupe et écouta attentivement les paroles du vieillard.
Selon lui, ils devaient ramener une épée sacrée à son lieu d’origine.
La traumatisée voyait clairement dans les agissements de l’homme qu’il était pressé de se débarrasser de l’épée et de la troupe de voyageurs par la même occasion. C’est ce qu’il fit d’ailleurs en tendant à la jeune fille près de lui un grand paquet blanc qui était censé contenir Fyrionne . Il indiqua un escalier taillé à même la roche et sans autre parole, tourna les talons.

* Vieux malotru. *

La porteuse s’avança la première vers l’escalier. Ses mouvements étaient lents, gênés par le poids de l’arme. Une autre voyageuse vint lui porter secours et à deux, elles commencèrent l’ascension du gigantesque escalier. Zephyr les suivit. Elles commençaient à faire connaissance quand une voix retentit, sortant de nulle part. La jeune fille chercha des yeux l’origine de ce son mais ne trouva rien dans les alentours. Ce ne fût que quand la Porteuse fit une remarque improbable, que la traumatisée pensa l’impensable. Fyrionne parlait. Quand l’épée fût déballée, Zephyr sentit les autres paires d’yeux se tourner immédiatement vers l’arme. Laquelle brillait de mille feux.

La marche reprit. Avec un peu plus d’entrain cette fois-ci. Les discussions sur l’épée allait bon train à l’arrière de la troupe. On faisait des tas d’hypothèses, plus incroyables les unes que les autres. Après tout, ils étaient à Dreamland. Tout était possible.

Zephyr rêvassait quand soudain, les jeunes filles devant elle s’arrêtèrent net. Un serpent splendide barrait le chemin et les autres voyageuses paraissaient traumatisées par cet animal. D’ailleurs, l’une d’entre elle commençait à prendre une apparence étrange.

* Un épouvantail ?! *

Voilà un pouvoir bien étrange… De quelle folie pouvait-elle bien tenir ce don ? Toujours est-il qu’elle se débarrassa avec brio du somptueux reptile et revenant après quelques minutes à son apparence normale, reprit sa marche. Zephyr était admirative. Elle ne se doutait pas qu’un tel pouvoir pouvait exister.

L’ascension de l’escalier fût longue et douloureuse pour la jeune fille dont la cheville commençait à enfler. Ils passèrent une bonne partie de la journée à monter les nombreuses marches pour envie arriver sur un petit Plateau . Zephyr allait s’asseoir sur une petite pierre plate quand les premières gouttes tombèrent. Comme tous les autres voyageurs, elle se précipita sous l’abris rocheux. Près d’elle se trouvait Mademoiselle-Epouvantail qui dessinait des silhouettes étranges sur des petits cailloux. Zephyr étant plutôt timide, elle garda d’abord le silence puis finit par s’adresser à sa voisine.

- Bonjour. Je suis Zephyr.

* Bon Dieu Zephyr, parles ! *

- Et toi ?Comment t’appelles-tu ?

Une fois avoir fini de tracer autant d’épouvantails que possible sur la petite portion de pierre dont elle disposait, Selene observait son œuvre avec une pâle sourire de satisfaction, quand la jeune fille à ses cotés prit enfin la parole. La rouquine releva brusquement les yeux pour se détailler d’un regard timide une adolescente d’à peu près son âge. Il est vrai qu’elle n’avait pas pris la peine de faire connaissance depuis le départ, partie en avant avec Serena ; mais dans un moment pareil où pour l’instant, le mot d’ordre semblait être de rester à couvert en attendant que l’averse se calme, c’était le moment rêvé pour faire connaissance. Surprise, elle mit un petit moment avant de répliquer avec un léger sourire :

- Selene. C’est joli Zephyr…, ajouta-t-elle après une seconde d’hésitation.

La jeune fille n’avait pas l’air hostile, ce qui détendit la galloise qui poussa un soupir. Autre chose étrange, le job avait été confié, d’autant qu’elle pouvait en juger pour la plupart, à des adolescentes. C’était tout de même risqué de remettre une mission de cette importance à leurs mains frêles… mais bon, il semblerait que Dreamland ne connaisse pas les même scrupules que le monde réel. Et puis… si elle-même avait postulé, d’autres ont très bien put le faire, comme le démontrait à cet instant ses deux voisines.
Selene se risqua à un autre regard sur Zephyr, pour essayer de savoir de quelle pathologie pourrait-elle bien souffrir, puis, incapable de deviner quoique ce soit, elle préféra passer une main dans ses cheveux avant de dire :

- Désolé de ne pas avoir… fait connaissance avant. C’est vrai que je me suis lancée directement, sans faire vraiment attention aux autres… sauf euh…

Avec un sourire, elle tourna la tête pour regarder Serena, lui indiquant que c’est d’elle qu’elle parlait, au cas où elle suivait la conversation, puis elle reprit en jetant un œil vers le plateau où martelaient de grosses gouttes de pluies. Ça n’était absolument pas son genre de prendre les devants, ni de diriger, mais peut-être était-ce le fait d’être entourée de partenaires de son âge, la toquée se sentait l’humeur à prendre des initiatives. D’un signe de tête, elle désigna l’espace devant leur petit groupe avant de reprendre la parole :

- J’ai eut l’impression qu’il n’y avait pas d’autres escaliers partant d’ici. Il va falloir que l’on grimpe autrement… avec cette pluie, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Sans matériel, on pourrait glisser et…

Elle n’osait pas finir sa phrase, mais tout le monde avait comprit qu’elle voulait dire « et s’écraser quelque part en bas ». Angoissée à cette idée, elle se mit à se triturer les mains nerveusement, songeant que ça n’était pas du tout l’un des objectifs de sa courte vie que de mourir dans un monde imaginaire en dégringolant plusieurs mètres de montagne.
Étant donné l’endroit où elles se trouvaient, il n’y avait pas un énorme choix d’activité, à part palabrer. Ceci dit, entre adolescentes, engager une conversation pour faire passer le temps ne devrait pas être si difficile que ça ; même si, pour être franche, elle se voyait mal sauter sur un sujet populaire comme un acteur qu’elles trouvaient craquant, où ce qu’elles faisaient de leurs samedis soirs. Selene opta donc pour quelque chose d’un peu plus réserver, qui ne ferait pas trop contraste avec la situation.

- Dites, vous avez quel âge toutes les deux ?

Elle s’adressait autant à Zephyr qu’à Serena, et espérait donc une réponse de la part des deux. Ça n’était pas grand-chose, mais… il fallait faire avec ce qu’elle avait. La galloise n’avait jamais été une grande bavarde, d’ordinaire, quand il fallait faire de nouvelles rencontres, c’étaient ses amies qui se chargeaient de l’abordage, et elle se contentait de suivre en spectatrice. Décidément, au-delà de sa maladie, sa petite expérience procurée par le docteur parkinson la mettait aussi face à sa personnalité.

- Merci beaucoup du compliment…

La timidité de son interlocutrice rassura la jeune fille. Certes, elles n’allaient pas beaucoup discuter en ces conditions mais au moins, ne serait-elle pas obligée de parler de sujets superflus. Selene s’excusait déjà et désignait sa voisine comme sa seule connaissance de l’expédition.

- Je t’en prie, il n’y a pas de problème. Pour tout te dire, je préfère observer les gens avant de les connaître.

Devant eux, l’averse redoublait d’intensité, inondant la frêle végétation et le sol rocheux. D’énormes gouttes glissaient sur la paroi de granit pour enfin venir s’écraser au pied de nos voyageurs transis de froid. Comment allaient-elles faire pour escalader les pentes ardues des Monts Olympiens ? Selene, elle aussi regardait la pluie s’abattre sur le plateau avec un air penseur, puis, d’un signe de tête, désigna la flaque immense qui s’étendait devant leurs yeux.

- Je ne sais pas comment nous allons procéder. Néanmoins, il faudra bien trouver un moyen…

Et il devait y en avoir un. A moins que le vieux bougre qui détenait autrefois l’épée n’est oublié de mentionner certains détails utiles pour la petite troupe.

- Dites, vous avez quel âge toutes les deux ?

Question quelque peu incongrue, qui ne concordait pas vraiment avec la situation. Cependant, elle fût réjouie de pouvoir enfin engager une conversation avec quelqu’un.

- Pour ma part, j’ai 16 ans. Et toi ?

Bientôt, l’orage accompagna la pluie. Des éclairs blancs zébrèrent le ciel, suivis bientôt par de longs coups de tonnerre. Des bourrasques de vent faisait voler les cheveux de Zephyr dans tous les sens, comme le faisaient les branches des quelques arbres qui bordait le plateau.

- Il ne faut pas rester ici, notre abri ne tiendra pas longtemps avec la tempête qui se prépare.

La jeune fille fit quelques pas et sortit de la cavité rocailleuse. Déjà, la pluie imbibait ses vêtements et trempait sa chevelure, elle n’allait pas tarder à attraper froid. Il fallait faire vite, elle fit un tour sur elle-même, cherchant dans la pierre un quelconque chemin pour sortir mais ne trouva rien. Cependant quand elle leva les yeux, elle vit plus haut sur la falaise qui les dominait, une grotte s’enfonçant dans la roche. Un abri plus grand pour accueillir tous les voyageurs et surtout, qui les maintiendrait en sécurité pendant l’orage. Elle voulu crier quelque chose aux deux jeunes filles restés sous leur petit plafond de granit, mais le tonnerre tonnait tellement fort que les voyageuses ne l’aurait pas entendu. Elle couru vers elles.

- Il faut grimper ! Là-haut, environ une dizaine de mètre au-dessus de nous, il y a une cavité rocheuse plus conséquente pour nous abriter…

Elle s’arrêta quelques secondes.

- J’espère que personne n’a le vertige…

Le claquement sec d’un éclair fit sursauter la rouquine, qui déporta alors son attention sur le ciel gris surchargé en épais nuage qui se déversait en une pluie diluvienne dans la plaine aux collines. Le grondement de tonnerre qui suivit, si lourd et si profond, avait quelque chose d’effrayant. Il donnait l’impression d’une main divine qui narguait les frêles adolescentes qu’elles étaient, laissant glisser le bouts de ses doigts sur la terre de Dreamland avant de chercher à les attraper sans qu’elles ne puissent s’échapper.
Dans un souffle, Selene répondit « 15 ans. » ; mais elle n’était pas sûre que Zephyr l’ait entendu, car elle n’avait pas eut la force de hausser le volume au dessus du bruit de la pluie qui cognait les montagnes. Elle était frigorifiée, et dans un moment pareil, elle n’aurait qu’une envie, ce serait que son épouvantail soit là pour qu’elle puisse le prendre dans ses bras et sentir contre sa joue son torse bombé de paille. Elle se recroquevilla un peu plus et perdue dans ses pensées, elle ne vit pas tout de suite que la stressée s’était mise en tête de sortir de leur abris de fortune.

- Attend ! Qu’est-ce que tu…

La galloise aurait presque été étonnée qu’elle ne s’envole pas, emportée par une rafale ; mais l’adolescente continuait de jeter des regards vifs à droite et à gauche, trempée par la pluie qui plaquait alors ses vêtements sur son corps mince. Plusieurs fois, Selene échangea un regard interrogateur avec Serena, se demandant si ce qu’était en train de faire leur collègue était bien prudent. Un autre éclair fendit le ciel, suivit par un roulement de tonnerre qui fit vibrer les parois rocheuses qui protégeaient tant bien que mal les voyageuses de l’averse. Un coup d’œil en arrière rassura la toquée sur le fait que Fyrionne était toujours au sec et apparemment, même si elle s’était remise à chanter, le bruit de l’intempérie couvrait totalement ses mélodies criardes.

Zephyr revint vers elles pour les informer du fait qu’il y avait une petite grotte à plusieurs mètres au dessus de leur tête qui pourrait les abriter mieux que leur petit toit de pierre. La galloise eut une petite mimique de personne qui réfléchit, sans savoir comment départager les propositions qui s’offraient à elle. D’une part, elle pourrait très bien rester là où elle est, et attendre sans bouger que l’orage passe. Certes, elle était si peu abritée qu’elle se retrouvait quand même copieusement mouillée, mais au moins, elle ne risquait pas trop de mourir. D’autre part, elle avait une grotte qui l’attendait un peu plus haut… mais il lui faudrait grimper sur une dizaine de mètre de pan de montagne détrempée, portant avec elle une épée qui pesait son poids et qu’elles ne pouvaient évidemment pas laisser sur place.

Avec une moue à moitié réticente, Selene consentit à sortir elle aussi de sa cachette pour rencontrer soudainement l’impression de recevoir un sceau d’eau sur la tête. Elle leva les yeux pour jauger la distance qui les séparait de la grotte indiquée par sa camarade, et inspecter l’état du chemin à parcourir. La paroi était taillée étrangement, comme si quelqu’un s’était amusé à tailler plusieurs prises d'escalades en voulant les faire passer pour des éléments naturels accidentels. Mais il n’en restait pas moins que la pluie avait très certainement rendu le terrain très glissant, et que grimper la-haut avec Fyrionne serait presque une épreuve suicide ; si l’une d’elle tombait, elle n’avait pas d’autres choix que de s’écraser en contrebas… et encore, ça pourrait même ne pas être assez haut pour qu’elle ne meurt sur le coup, et elle devrait agoniser plusieurs heures encore.

Cette simple pensée fit angoissée la toquée plus qu’il n’en aurait fallut, et bien qu’elle la chassa en secouant la tête, elle prenait déjà son apparence d’épouvantail, qui lui serait d’une inutilité totale pour s'essayer à la l'escalade. Elle jeta un regard navré à Zephyr avant de baisser les yeux pour revenir s’assoir aux cotés de Serena. Elle ruisselait de pluie et plusieurs frissons glacés courraient sur la nuque. Malgré tout, elle ouvrit lentement la bouche pour articuler :

- Désolé… s’il faut grimper, je n’ai pas d’autre choix que d’attendre de redevenir… normale. Dis Serena, qu’est-ce qu’il faut faire d’après toi ? On peut essayer de grimper maintenant ?

Pour le coup, la jeune fille voulait s’en remettre aux avis de sa collègue. Elle avait quelque chose qui la présentait comme quelqu’un de calme et de réfléchi… et puis, deux opinions valent mieux qu’une non ? Ce qui ne serait sans doute pas de trop dans une situation pareille.

Silencieuse serait le mot qui décrirait de la meilleur des façons l’attitude de Serena. Malgré les sollicitations de sa binôme Selene, elle n’avait pu réussir à faire sortir un seul mot de sa bouche. Pour quelle raison? L’arrivée inattendue d’une nouvelle recrue ou la pluie battante qui ne s’était même pas annoncée ? Ces éléments imprévisibles avaient eu le don de bloquer l’adolescente. En revanche, si elle ne s’était pas étalée en parole, son regard curieux avait balayé le paysage pluvieux et rocailleux ainsi que les attitudes de ses deux compagnons.
Selene s’était chargée de leur trouver une protection précaire tandis que Zephyr, prénom étrange sous lequel elle s’était présentée, se chargeait de leur trouver un autre abri. Toutes deux étaient maladroites, mais leur réflexion ne les paralysait pas dans leurs actions ; elles avaient du mérite.

La jeune fille soupira de sa propre passivité et de son inutilité. Pour le coup, elle se laissait porter, comme cette fichue épée. Zephyr retrouva leur abri de fortune, trempée jusqu’aux os. A elle seule, son allure peu reluisante résumait les risques qu’elles allaient prendre pour progresser sous la tempête violente. Selene, elle, retrouva son apparence d’épouvantail, laissant clairement apparaitre sa position sur le sujet. Il était étrange de constater que cette transformation peu commune, était presque devenue banale aux yeux de Serena. Mais si elle ne s’était pas vite adaptée à cet environnement imprévisible, elle n’aurait pas fait long feu.

Selene la sollicita une dernière fois, comme un dernier élan d’espoir. Mais cette fois-ci, Serena s’y était préparée. Avant de parler, elle s’éclaircit la voix, mais se rendant compte qu’elle attirait l’attention sur elle, ses yeux fixèrent le sol boueux.

- Je pense que grimper jusque là haut est une bonne idée…

Aussitôt, elle attira à elle le regard perplexe de Selene et la curiosité de Zephyr, du moins, elle le supposait. Mais sa petite intervention n’allait pas s’arrêter là. Son esprit essayait déjà de mettre en ordre les pensées qu’elle voulait énoncer : elles devaient faire face à trois contraintes. La première, et pas des moindres, l’épée, qui mine de rien faisait son poids. Zephyr ne semblait pas l’avoir pris en compte dans ses calculs. Après l’avoir portée, elle comprendrait d’elle-même. Le deuxième paramètre était la hauteur qu’elles auraient à escalader pour accéder à un point de vue dégagé balayant le plateau. Sur ce point là, la jeune fille espérait une chose : que les malchanceux qui les avaient précédés avaient été plus malins qu’elles en emportant du matériel qu’ils n’auraient malheureusement, ou bienheureusement, pas eu le temps d’utiliser. Le troisième point était bien évidement la pluie battante et l’orage qui les assaillait. En l’état actuel des choses, il relèverait du suicide que de s’aventurer à l’extérieur, pour escalader une paroi abrupte et glissante.

- Mais pas maintenant.

Entre deux éclairs, l’adolescente fit part des différentes contraintes qu’elle avait énumérées dans sa tête. Pour enfin en arriver là où elle l’avait voulu.

- Même si on attendait la fin de la tempête, la paroi rocheuse ne serait pas sèche de suite. Néanmoins rien ne nous empêchera de partir à la recherche de matériel laissé ici par… nos prédécesseurs. Ca ne serait pas une perte de temps si on trouvait quelque chose pour assurer notre sécurité. Et qui sait, on trouverait peut-être une autre voie pour accéder aux autres plateaux de la montagne.

Ce côté prudent et mesuré caractérisait si bien la jeune fille, qu’elle se sentit presque gênée de se dévoiler autant à des inconnues. Des inconnues de son âge cependant : quinze et seize ans… si jeunes et pourtant déjà enrôlées dans des évènements qui les dépassent. Du haut de ses dix-sept ans, Serena tenait le rôle de l’ainée, rôle qu’elle ne savait pas encore jouer. Son esprit aurait presque pu s’amuser de constater qu’elles étaient toutes trois facilement repérables de part leur physique : une blonde, une rousse, une brune… Le hasard me dirait vous…

Selene sortit à son tour de l'abri et vint vérifier les dires de la voyageuse. Elle revint, affolée à l'idée de devoit escalader ce pan rocheux dans de telles conditions. Quand Serena donna son avis, Zephyr ne pût que faire profil bas. Effectivemment, elle avait oublié quelques paramètres importants et heureusemenent que les deux autres voyageuses avaient un peu de jugeote sinon, la troupe aurait pû faire des bêtises. Des grosses bêtises. La Traumatisée tourna la tête vers la pauvre Selene qui s'était de nouveau changée en Madame-Epouvantail, par sa faute.

- Je m'excuse, je ne voulais pas que tu sois paniquée.

Elle écouta la fin du discours de Serena et ce qu'elle entendit, fit longuement réfléchir Zephyr. Quelque chose ne tournait pas rond..

* Mais quoi ? *

Au bout de plusieurs minutes d'intense reflexion, la Traumatisée se permit une remarque. Elle avait trouvée ce qui la gênait.

- Es-tu sure que nous trouverons du materiel ? Je veux dire ... Si nous avons été cherché l'épée au village, c'est bien que quelqu'un l'a amené là bas. Or, si nos prédecesseurs étaient déja passés par là, pourquoi l'auraient-ils ramenés là-bas ? C'est idiot. Je crois qu'en réalité, ils ne sont jamais passés par ici, et que leur périple s'est terminé au village. Nous devons juste terminer leur aventure. Enfin... Je crois.
Elle regarda les deux jeunes filles, attendant leur avis. Peut-être avait-elle tord ?

La tempête dura plusieurs heures, entraînant des chutes de pierres et quelques cris de frayeur, et ce ne fût qu'après une longue attente que le ciel arrêta de déverser sa colère sur la petite troupe. Zephyr sortit doucement, de peur de recevoir un gros rocher sur le crâne. Comme prévu, la paroi était impraticable mais il fallait tout de même l'escalader ! Mais avant tout cela, il fallait que la traumatisée trouve de quoi se réchauffer. Elle se sentait mal, la tête lui tournait et son ventre la faisait atrocement souffir. Elle s'adossa à la paroi de pierre, tenta de reprendre ses esprits et finalement sombra dans l'inconscience.

[Hrp : Je m'excuse pour ce texte relativement court, mais je ne pouvait pas savoir quelle serait la suite des évenements sans votre réponse ... Encore désolé]

Selene écoutait attentivement le discours de Serena tout en cherchant à se protéger du mieux possible de la pluie. Quelque chose la titilla très vite, et bientôt, ce fut Zephyr qui formula à haute voix ce que pensait approximativement la toquée. Quand elles s’étaient présentées au village, on leur avait simplement dit que le possesseur de l’épée était mort et qu’il avait demandé à ce qu’on la replante dans son socle d’origine. Ça évoquait un peu l’excalibur, mais jamais le vieux homme aigri qui les avait envoyé en mission n’avait suggéré qu’il y avait eut des « prédécesseurs » qui auraient put emprunter la même route… en admettant que le détenteur de l’épée n'ait eut que la moitié de l’âge de leur employeur, il y aurait put avoir une trentaine d’année ou plus que lui-même aurait été la chercher au sommet des monts olympiens… et encore, c’est sans compter qu’il aurait simplement put en hériter d’un parents ou par un serment quelconque.

Les yeux noisettes de la galloise allèrent d’une collègue à l’autre, puis elle dit timidement, juste assez fort pour couvrir le tumulte de la tempête qui se levait :

- Je crois que Zephyr a raison… rien ne nous garantit qu’il y a eut des gens qui sont passés par ici récemment avant nous… notre employeur n’en a pas parler.

Elle adressa un sourire gêné à son ainé et plongea sa tête dans ses bras de branches pour se murer dans un silence pensif et méditatif. De toute manière, elles ne pouvaient rien faire d’autre que d’attendre que l’intempérie se calme et mine de rien, l’adolescente avait un petit coup de barre qui lui ôtait la force de crier par-dessus l’orage pour se faire entendre. Elle s’assura une dernière fois que Fyrionne était bien à l’abri, puis réintégra sa position pour les longues heures à venir qu’elle ne vit pas vraiment passer. Elle s’assoupissait de temps à autre, et si chaque fois qu’elle rouvrait les yeux, elle se sentait plus frigorifiée et plus affamée que la fois précédentes, elle n’émergea vraiment que lorsque le soleil de fin de journée revenait timidement tenter de dissiper l’atmosphère humide. Il y avait longtemps qu’elle avait reprit son apparence normale.

Manifestement, il ne restait plus énormément de temps avant que la nuit ne se décide à tomber – peut-être 3h tout au plus – et il allait donc falloir : soit que les demoiselles se décident à au moins grimper jusqu’à la grotte et reprendre leur périple le lendemain, soit poursuivre malgré tout et risquer d’être bloquées en pleine ascension difficile par la disparition de l’éclairage naturel.

Zephyr sortit la première et inspecta timidement la paroi qu’elles allaient devoir grimper. A voir sa tête, elle n’était pas plus encourageante que la fois où Selene était allée vérifier d’elle-même, mais pour le coup, il allait bien falloir qu’elles y passent…
Malgré tout, elle sortit à son tour, et au moment où elle allait articuler quelques paroles motivantes pour essayer de booster ses collègues – et elle la première – la traumatisée qui s’était adossée au pan de roche perdit connaissance. Paniquée, la toquée se précipita vers elle et après une brève hésitation, posa ses mains sur ses joues et son front avant de faire une grimace inquiète. La peau de Zephyr tremblotait et au vue de sa mine lasse encore humide, il n’y avait pas lieu de tergiverser longtemps pour savoir ce qu’elle avait.

- Je… je crois qu’elle a de la fièvre !

La jeune fille commençait vraiment à angoisser. Elle avait déjà eut des amies malades oui, mais pas en pleine ascension d’une montagne abrupte sans l’ombre d’un ustensile approprié dans un monde où elle ne pouvait appeler si sa tante, ni les pompiers. D’un geste hâtif et nerveux, elle retira son gilet de laine noire pour le poser en couverture du mieux possible sur les épaules de la pauvre voyageuse. Il était humide, mais c’était mieux que rien. La petite brise qui balayait le plateau donna instantanément la chair de poule à ses bras qui se retrouvaient nus, mais elle n’y fit pas attention. En se retournant, elle avisa les petits arbres fruitiers qu’elle avait aperçut en arrivant et courut se saisir de plusieurs des grosses baies rouges couvertes de gouttes de pluie.

De nouveau face à Zephyr, elle jeta un œil à Serena, comme pour lui demander s’il était recommandé de les manger puis… tenta l’aventure elle-même. Après tout, certains des fruits étaient manifestement picorés ou grignotés par des animaux, c’est qu’ils ne devaient pas être si mauvais que ça. Et en effet, la chair tendre de cette espèce de cerise inconnue libéra sur la langue de la galloise une saveur sucrée qui n’était pas désagréable du tout. Il y avait au milieu trois petits pépins qu’elle choisi de recracher par précaution, mais pour le reste, ces baies semblaient tout à fait comestible.

Selene adressa un sourire nerveux à son ainée, luttant contre l’envie se dessiner des épouvantails quelque part pour se calmer, et entreprit de timidement caresser l’une des joues de leur belle au bois dormant pour la faire revenir à elle avec douceur.

- Zephyr… Zephyr tu m’entends ?! J’ai trouvé de quoi manger… réveille toi s’il te plait !

Son ton devenait presque implorant. Que ferait-elle si elle avait à déplorer la mort de leur collègue ? Saurait-elle se résoudre à l’abandonner si jamais elle n’était plus en état de continuer ? L’adolescente ne voulait pas y penser. Tout ce qu’elle espérait, c’était que la jeune fille reprenne conscience… et se montre bien portante !

Perplexe. Tel était le ressenti de l’adolescente. Ses deux compagnonnes s’était bien vite chargées de remettre en question une de ses suppositions. De toute manière, elles auraient tôt fait de la confirmer, ou non. La cadette semblait s’être calmée en même temps que la pluie, mais sa dose de stress emmagasinée depuis le début de l’aventure finit par avoir raison d’elle. Résultat : Zephyr perdit connaissance. La jeune fille avait le don pour choisir son moment. La benjamine fut la plus rapide et la recouvrit d’une couverte et parti à la recherche d’un repas improvisé. D’ailleurs cette dernière pensée lui rappela que son ventre grognait depuis quelques temps déjà, bien trop faible cependant en comparaison de la pluie.
Selene lui adressa un regard interrogateur, encore. La jeune fille avait du mal à trouver une réponse adéquate, et préféra garder le silence. Néanmoins, elle s’empara de quelques baies similaires à des cerises et les engouffra. C’était léger, mais mieux que rien. La plus jeune du trio tenta une nouvelle fois de réveiller la blondinette, en vain. La chanceuse, elle avait réussi à trouver le sommeil.

A défaut de pouvoir se rendre utile, Serena resta dans son coin, toujours abritée par le rocher érodé qui pendait au dessus d’elle, dégoulinant d’eau de pluie. La nuit n’était plus très loin maintenant, mais le paysage prenait un air mystérieux et secret qui plut à la jeune fille. Où était son stylo et son carnet ? Après avoir tâté les poches de son short, elle tomba finalement dessus. Le carnet était humide, et elle du se débarrasser des premières pages avant d’arriver sur une page vierge. Selene sembla détacher temporairement son regard de Zephyr… à quoi pouvait bien jouer leur aînée dans un moment si critique comme celui-ci ?

Un coucher de soleil baignant encore de ses rayons un plateau égaré dans un épais brouillard. Voilà ce qu’elle s’attachait à dessiner. Un arbre par ici, une étendue d’herbe par là, une montagne de l’autre côté, et ce petit caillou brillant devant. Ce dernier ce métamorphose d’ailleurs devant ses yeux, en un « pouf » bref et étouffé. C’est vrai, elle avait presque oublié sa capacité à dévoiler ses visions aux autres. Le silence s’instaura sous leur petit abri, mais une petite brise malicieuse vint rompre le calme apparent, et Serena frissonna. Il ne manquait plus qu’un bon petit…

* feu *

- Ah…

Serena cru entendre un écho similaire au sien sortir de la bouche de Selene. Un regard dans sa direction lui fit comprendre qu’elles avaient eu la même idée. Pourquoi pas. Serena se mit alors à la tâche et tenta de dessiner une petite flamme, puis une bougie, et enfin un briquet. Mais rien n’y fit, ses croquis restaient croquis. Pas même le soupçon d’un mouvement de flamme, ou le bruit du feu ne vint s’immiscer devant ses yeux. Rien, le néant, le calme plat, ses dessins étaient banals et sa vue normale. Elle soupira, puis Selene lui lâcha une seule parole : « des allumettes ». Bien évidemment ! Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt. En quelques tours de crayons, les allumettes, gentiment rangées dans leur étui apparurent entre ses mains. Mue par l’excitation, Serena lâcha son équipement et en craqua une. La texture était la même, réelle, presque trop pour un dessin. Bientôt la flamme apparu, il ne manquait plus que le bois, assez répandu là où elles se trouvaient.
La jeune fille se concentra sur son exploit, fuyant tant qu’elle le pouvait le regard curieux de Selene. Le petite flamme finit par rendre l'âme dans un dernier mouvement désespéré.

Zephyr ne semblait pas encore vouloir se réveiller. La galloise abandonna, lasse, et s’assit simplement en tailleur face à elle pour pouvoir la garder en vue. La pauvre blondinette tremblait dans son sommeil ; si seulement elles avaient put avoir quelque chose pour la réchauffer…
Selene posa les fruits à ses pieds après en avoir gobé encore quelques uns, puis s’intéressa à son ainée qui avait entreprit de dessiner. Soit, ce n’était pas vraiment le moment, mais elle mourrait d’envie de lui demander de lui dédicacer un épouvantail, elle devait sûrement mieux savoir les faire qu’elle-même. Attentive à la dextérité au crayon de Serena, les yeux de la toquée s’écarquillèrent quand l’une des petites pierres qu’elle venait tout juste de tracer sur son papier jaillit du dessin avec un réalisme étonnant.

*Waw ! C’est trop bien ! Et si… et si… et si elle pouvait me faire jaillir un épouvantail ?*

A cet instant, une rafale fraîche balaya le plateau, hérissant une nouvelle fois de chair de poule la peau nue des bras de la benjamine de la troupe. Comme un coup de fouet, elle pensa à Zephyr qui aurait bien eut besoin d’un feu pour se réchauffer, puis fixa le carnet à dessin de la psychotique avec des yeux ronds. Elle murmura son intention à l’unisson avec cette dernière, qui lui jeta un regard avant d’entreprendre avec hâte de crayonner toutes sortes de flammes possibles. Mais aussi réalistes étaient les croquis de la demoiselle, aucun ne donna vie à la moindre étincelle. Selene aurait presque perdu espoir quand une pensée lui vint, si simple et fulgurante qu’elle s’en serait voulu de ne pas y avoir songé avant.

- Des allumettes…

Et bingo ! Ce coup-ci, Serena parvint à faire prendre vie son dessin, qui lui permit de faire jaillir une petite flamme qui ne payait pas de mine, mais qui était suffisante pour allumer un feu de camp. Le problème qui restait cependant était qu’après une intempérie comme celle qu’elles venaient d’essuyer, il ne devait pas rester beaucoup de bois sec ; et pour couronner le tout, Fyrionne s’était remise à chanter à tue-tête. Sa voix résonnait contre les parois rocheuses sous lesquelles elle était placée, ce qui donnait encore plus de volume à ses mélodies chevaleresques qui avaient plus le don de casser les oreilles de ses porteuses que de les encourager.

Avec un soupir, Selene se remit sur ses pieds et se mit d’abord en quête de trouver des pierres pour tracer le contour de leur foyer. Elle fit sans le vouloir fuir un autre serpent effrayée par son arrivée brusque près de la pierre à coté de laquelle il dormait, écrasa malencontreusement un escargot caché sous une touffe d’herbe, et enfin évita de justesse l’attaque d’une araignée grosse comme sa main qui devait avoir pris son pied pour un délicieux animal comestible.

L’adolescente revint vers ses deux collègues les bras chargés du nécessaire, et entreprit de les disposer en cercle tout en jetant de temps à autre des regards inquiets à Zephyr. Elle fit ensuite face à Serena, dont la première allumette s’était éteinte depuis un moment, pour lui adresser un sourire gêné en se grattant l’arrière de la tête.

- Désolé… y’a pas vraiment de bois sec dans les parages… puis y’a plein de bestioles…

A ces mots, elle vérifia qu’il n’y avait aucun insecte non identifié en train de grimper allègrement sur son dos, puis se relevait pour aller recueillir ce qu’elle pouvait comme branches et brindilles. Bien évidemment, même en cherchant dans certains recoins du plateau un peu abrité par des pans de montagnes qui menaçaient de se détacher, tout était au moins un minimum humide, et elle revint les bras pleins mais peu convaincue de l’efficacité de son geste. Elle déposa le tout devant son petit cercle de pierres, s’offrant une pose avant de continuer, puis tressaillit quand leur camarade blonde eut laisse de gémir en signe qu’elle commençait à se réveiller.

Selene s’élança à ses cotés, essuya rapidement ses mains sur ses vêtements, et caressa doucement la joue de l’adolescente, avec l’attention digne d’une petite sœur inquiète.

- Zephyr ?! Tu m’entends ? J’ai trouvé de quoi manger… un peu. Et Serena peut nous faire du feu ! Réveille toi hein…

Elle regardait avec espoirs les paupières de sa nouvelle amie frémir faiblement. Sans pour autant quitter son poste de bienveillance auprès de la traumatisée, la toquée regarda son ainée un moment, avec de lui demander avec une pointe de gêne :

- Dis… tu pourrais me dessiner un épouvantail une fois ?

Ramener l'épée, ramener l'épée, c'était facile à dire mais encore fallait-il avoir l'épée et... Naomie fut bien contrainte de réaliser qu'elle n'avait ni épée, ni rien d'autre, et bientôt plus de force pour marcher encore dans les roches brutales des montagnes peu amènes. Ce n'était pas un escalier, c'était un engin de torture bien décidé à la tuer !

Ce travail avait décidément pris une tournure qui ne plaisait pas beaucoup à la jeune femme. Tout d'abord ce village de vieux croutons. Naomie eut un haut le cœur rien qu'en y repensant. Mais ils faut dire que le 3ème age avait choisi l'endroit idéal pour attendre la mort, le paysage était à couper le souffle... D'ailleurs l'admiration de l'horizon l'aurait bien captivée elle aussi si elle ne se sentait pas affreusement angoissée. Elle avait d'abord pensé que rattraper les autres serait l'affaire de quelques foulés, d'ailleurs leurs silhouettes se dessinaient déjà lorsqu'elle avait quitté le village. C'était sans compter cette fichue tempête qui lui avait empêché tout mouvement et qu'elle avait du éviter en se réfugiant dans un abris de forture, sous les roches. Résultat elle se trouvait toute seule, sans épée, dans ces escaliers improbables et qui plus est glissants. Elle avait repris la route rapidement, la solitude ne l'inspirait guère, mais ses compagnons pour ce boulot ne semblait pas avoir traîné les pattes !

Elle avait bien entrevu un petit groupe d'adolescentes mais à vrai dire, elle avait douté que ces frêles gamines pouvaient avoir été embauchées dans ce job. Seulement, à bien y réfléchir... elle-même n'avait pas vraiment la carrure pour ce genre de randonné et elle jeta d'ailleurs, en même temps que cette pensée soudaine fusa dans son esprit, un regard réprobateur à sa paire de chaussure qu'elle s'était réduite une fois de plus à tenir à la main... Il fallait vraiment qu'elle pense à acheter quelque chose qui tienne la route, sans quoi ses pieds, déjà abîmés par ces périples passés, finiront par devenir aussi gros que deux ballons de rugby.

Ennuyée par sa quête veine, la jeune femme finit par se décider à rattraper les fillettes qu'elle avait vu foncer en direction du sommet des Monts, sur cette route de plus en plus escarpée qui lui promettait déjà beaucoup de difficultés. Elle espérait les rattraper et leur soutirer quelques informations sur cette épée, peut être connaissaient-elles les personnes qui devaient l'accompagner ? Quoiqu'au début un peu septique sur sa vitesse ridicule à gravir le chemin pentu, l'amnésique put soudain se rendre compte que le groupe en question ne la devançait pas tant que çà, elle eut bien envie de crier mais se ravisa, toujours un peu méfiante à l'égard des gens qu'elle rencontrait dans ce monde. Après tout, la discrétion n'avait jamais tué personne.

C'est justement à ce moment précis de sa réflexion que le pied de Naomie glissa, laissant son corps en apesanteur sur un seul appuis, un suspens haletant flotta quelque temps dans l'air jusqu'à ce que le destin soit clément et ramène le pied fuyard à sa place. Cette montée d'adrénaline poussa la jeune femme au bout de ses forces physiques, elle marchait plus vite, et se sentait bien à vrai dire. Marcher dans cette environnement était quelque chose d'étrange pour elle. En fait, elle avait cette impression improbable de déjà vu... Était elle déjà venu fouler ces pierres ? Rêveuse, elle avançait toujours et les jeunes filles qui s'étaient arrêtées plus loin devaient maintenant l'avoir remarquée. Il n'était pas venu à l'idée de la demoiselle qu'on pouvait la prendre pour quelqu'un de potenciellement dangereux, certes sa silhouette était loin d'être effrayante ou intimidante, mais si ce monde lui avait bien appris quelque chose, c'était certainement à se méfier des apparences, et... à se méfier de tout en fait.
Mais ses pensées la captivaient beaucoup trop pour qu'elle ne s'attarda sur ce genre de problèmes jugés pour le moment secondaires.

Ses yeux parcoururent chaque parcelle et traversèrent le paysage avec une extrême profondeur comme pour sonder les environs. Toute à son observation, elle voulait saisir le moindre détail qui puisse réveiller un quelconque souvenir dans sa mémoire. Certes, Naomie savait très bien qu'elle n'était pas comme tout le monde, que sa tête n'était qu'un tiroir dans lequel on imprimerait toute sorte d'images mais que quelqu'un s'amuserait de temps en temps venir éparpiller. Aussi avait elle pris l'habitude de prendre gare à ce que ce qui semblait lui être familier. Et pourtant, la force hypnotique du lieu l'empêchait d'en soustraire ses yeux, ce qu'elle fut tout de même contrainte de faire. En effet elle arrivait maintenant près des adolescentes qu'elle tentait de rattraper depuis un bon moment.


« Bonjour ! Je cherche un groupe de quelques personnes qui a du vous précéder de peu, je devais partir du village avec eux mais je suis arrivé en retard... Vous pouvez peut être aussi me renseigner sur une certaine épée.. Fryone, euh... Fyrone... Enfin, quelque chose comme ça quoi. »

Positive ou négative, Selene n’avait pas entendu la réponse de son ainée car une voix étrangère interpella leur trio d’adolescente pour le moins incongru dans un endroit pareil, et elle fit volte face pour observer l’inconnue. C’était une jolie jeune femme blonde qui portait ses chaussures à la main affirmant tenter de rejoindre un groupe de promeneur passer dans le coin il y a peu. Les sourcils de la rouquine se soulevèrent d’étonnement. Elles n’avaient vu personne depuis leur départ du village, et il y avait très peu de chance que des individus tiers aient tentés de gravir la montagne pendant la tempête qui avait fait rage.

Un dernier coup d’œil à Zephyr pour s’assurer qu’elle avait bien reprit conscience et qu’elle grignotait l’un des fruits qu’elle lui avait tendu pour se remettre un peu d’aplomb, la galloise se redressa pour faire face à l’arrivante et écouter la suite de son récit. A l’évocation de son nom maladroitement déformée, la voix nasillarde de l’épée se fit plus forte, fredonnant quelque chose comme : Fyrionne ! Fyrionne la valeureuuuuse ! Fyrionne ! Fyrionneuh la courageuuuuuse !

Les traits fins de Selene se plissèrent machinalement en signe qu’elle n’était pas une fan des compositions personnelles du glaive magique, puis fit quelques pas vers Naomie en essayant de paraitre le plus assurée possible. Ça n’était pas chose aisée quand on se présentait avec de longs cheveux encore trempés, les bras nus hérissés de chair de poule, et qu’on avait franchement l’air d’une adolescente un peu perdue dans une aventure qui la dépasse.

- Bonjour… euh… a priori, je crois que le groupe dont tu parles c’est… nous.

Les épaules de la toquée s’étaient affaissées avec sa fin de phrase. Il était certain que la retardataire était clairement plus âgée qu’elle, et sans doute s’attendait-elle à des collègues aux mines plus compétentes. Au lieu de quoi, voilà qu’elle allait devoir réussir sa mission en compagnie d’une bande de jeunes filles dont l’une d’elle était déjà en grand état de faiblesse. Sans laisser poindre sa gêne – ou presque – la galloise poursuivit en pointant du doigt le linceul à l’abri sous son pan de rocher, dont la voix portait largement jusqu’à elle.

- C’est Fyrionne le non de l’épée si je me souviens bien de l’annonce. Elle est juste ici…

Après un court instant, Selene poursuivit.

- Apparemment, on va devoir travailler ensemble… euh… moi c’est Selene ! Et là Zephyr, et Serena. Elle désigna ses amies tour à tour. Tu dois te dire qu’on forme une équipe assez atypique pour le travail demandé hein ?!

L’adolescente se retint d’ajouter que c’était exactement ce qu’elle pensait, tant elle trouvait presque irresponsable d’avoir confié une tâche aussi importante à des gamines, mais elle invita Naomie à se rapprocher de leur petit abri de fortune. Il restait encore certaines des grosses baies qu’elle avait cueillit pour la traumatisée et en proposa quelques unes à la jeune femme. De toute façon, tant qu’elles ne restaient pas loin de l’arbre fruitier qui les leur avait fourni, elles n’en manqueraient pas.

- Pour l’instant, on espérait juste faire un feu et attendre que le terrain soit plus pratique par grimper là haut. Elle fit un signe de tête vers la dizaine de mètre qui la surplombait. Les prises sont encore trop humides… il y a une grotte au dessus, peut-être qu’on y trouvera un passage… et au pire, c’est toujours un meilleur habitat temporaire que celui-ci.

A ces mots, Selene contempla sa pile de branches et brindilles mouillées que manifestement, son acolyte dessinatrice peinait encore à allumer avec les allumettes qu’elle avait fait apparaître grâce à son pouvoir. La rouquine fit une moue dépitée, avant de s’assoir à coté de son ainée. Décidément, elles faisaient une belle bande de bras cassé… les idées étaient au rendez-vous, mais l’application trainait la patte.

La jeune fille fut ramenée à la réalité par le chant de Fyrione, qui couvrait presque la voix de sa comparse. Selene s’était déjà chargée de récupérer le peu de bois que ses bras pouvaient transporter. La pluie avait bien entendu joué en leur défaveur en leur laissant du bois bien trop humide pour être utilise de suite.
La jeune fille ne put laisser échapper un commentaire, sa bouche était sèche et sa gorge serrée. Cependant, elle garda derrière son oreille la demande de Selene. Oui, elle lui dessinerait un épouvantail, mais pas ce soir, la priorité restait leur survie.
Serena s’essaya à dessiner de petites bûches de bois, un peu plus grandes que ce qu’elle avait dessiné depuis son arrivée à Dreamland. A sa plus grande surprise, ses croquis prirent vie, non pas sous des bûches de bois, mais des bûches de papier, de tissu marbré. Sa main avait du mal à détailler la texture du bois, mais son esprit la contraignait à essayer encore et encore. Même si cela devait prendre la nuit entière, la jeune fille n’abandonnerait pas. Sa détermination était d’autant plus forte que Zephyr tremblait de froid, et que Selene et elle-même prenaient sur elles dans leurs tuniques trempées.

En parlant de temps qui passe, la nuit s’annonçait déjà depuis quelques minutes et il n’en faudrait pas beaucoup de plus avant que Serena subisse les désagréments de sa mauvaise vue. Le stress grandissait dans son esprit et sa main se mit à trembler. Hasard ou chance, ces tremblements incontrôlés lui permirent de tracer ces nervures irrégulières, parfois plus fines, d’autres fois plus épaisses. On aurait presque pu distinguer la sève séchée s’échapper de ses tranches de bois.
Finalement, une bûche de bois prit forme entre ses mains. Pendant quelques secondes elle détailla les traits surréalistes de ce simple morceau de bois sec pas plus grand que ses deux mains accolées. Le combustible ne ferait pas long feu, mais il devrait les dépanner le temps de faire sécher leur petit stock de branches fines.

Serena voulu tendre leur sauveur à Selene, un sourire soulagé placardé sur son visage fatigué et pâle, mais l’adolescente était déjà occupée à fixer une silhouette qui approchait d’elles.
Serena força sur ses yeux pour distinguer les détails de l’inconnue. Ceci lui causa un mal de crâne et elle abandonna l’idée, préférant étudier l’attitude de sa voisine, plus surprise qu’inquiète. D’ailleurs, l’inconnue qui les rejoint s’adressa à elle en tant qu’alliée : une autre voyageuse. Selene, est hôte accueillante fit les présentations, et Serena se contenta d’adresser un signe de tête à la nouvelle recrue. La jeune femme était plus âgée qu’elle, tant mieux, son rôle n’en serait que plus facile.

- Tiens, voilà une bûche.

Aussitôt dit, aussitôt fait, elle tandis et la petite bûche et les allumettes à Selene pour qu’elle s’occupe du feu. La jeune demoiselle semblait plus agile qu’elle dans ce crépuscule naissant.
Serena jaugea la nouvelle arrivante, une blonde à l’air éveillé. Peut-être qu’elle saurait faire preuve de plus de jugeote que les trois adolescentes. Quoiqu’il en soit, Serena s’interrogeait déjà quand à la capacité dont était dotée cette jeune femme. Dans ce monde étrange, elle aurait bien vite fait de le découvrir.

A ce moment là, la jeune fille repensa à la demande de Selene. L’ennui commençait à l’envahir, alors pourquoi ne pas s’occuper de cette manière. D’autant plus qu’il ne lui restait que peu de temps pour profiter des derniers traits de lumière. Serena laissa de la place à la nouvelle sous leur abri de fortune, puis empoigna son carnet et son crayon. L’adolescente essaya de fixer dans son esprit l’image de la Selene empaillée qu’elle avait vue quelques heures auparavant. Un premier trait pour dessiner la tête ovale si caractéristique des épouvantails, de grands yeux noirs pour lui donner un côté gentillet, cette chemise à carreaux bleue aussi longue qu’une robe, des jambes simplifiées en deux petits bâtonnets de paille, quelques brindilles qui dépassent par-ci par-là et le tour est joué. Serena s’autorisa à lui rajouter un grand chapeau de paille troué sur le dessus. On aurait dit une peluche, d’autres l’auraient comparé à une poupée vaudou d’une quinzaine de centimètres de haut. Toujours est-il qu’en un petit flash lumineux, le dessin prit vie et se matérialisa au creux de ses mains.
Après un petit regard satisfait à l’attention de Selene, et elle lui en fit cadeau. Après tout, une promesse était une promesse.

La jeune fille qui l'accueillis confirma ses soupçons, le groupe d'adolescente était belle est bien constitué de ses futures collègues d'aventure. Naomie se demandait déjà comment elles avaient fait pour rester vivantes dans cet univers chaotique mais elle n'était pas décue, bien au contraire, la solitude était quelque chose qui ne lui plaisait guère et elle fut bien contente de s'asseoir au milieux des filles. Et puis être la plus âgé conférait a la jeune femme une impression satisfaisante de pouvoir se rendre utile sans compter qu'elle se sentait beaucoup plus en confiance, ce qui chez elle était assez rare. En fait, elle se sentait, pour la première fois depuis qu'elle avait quitté le bureau de Parkinson, enfin reposée et sereine.

Naomie observa pendant un moment la fameuse épée, Fyrionne... Elle était étrange et désagréable. Ses chants étaient tout simplement atroces et on pouvait aisément comprendre pourquoi on désirait tellement s'en débarrasser au village. L'aventure promettait d'être longue et pénible ! Surtout que les Monts gigantesques dont avait parlé Selene ne paraissaient vraiment pas accueillant... Et l'escalade n'avait jamais vraiment était son truc. Mais si l'équipe qu'elles allaient maintenant toutes les quatre former étaient soudée et sympathique, le travail n'en serait que plus agréable et facile. Ravie de cette idée, la jeune femme adressa un sourire chaleureux aux trois filles.

Eh bien, on dirait qu'on risque de croiser pas mal de difficultés dans cette escapade... Au fait, moi c'est Naomie.

La jeune femme avait été convié à s'installer sous le petit abris, près d'un feu qui n'existait pas encore mais qu'on s'efforcait d'inventer. Elle ne put d'ailleurs se retenir de se pencher au dessus de l'épaule de Serena...

Tu dessines très bien. On dirait presque une véritable.... buche.

A peine la phrase fut elle achevée que la buche reposait tranquillement dans les mains de l'adolescente, aussi palpable et réelle qu'elle l'était elle même. Ébahie, Naomie regarda l'objet passer d'une main à l'autre, tandis que Serena confiait le soins de s'occuper du feu à Selene, Naomie la rejoint. Qu'au moins elle puisse se rendre utile. Le petit tas de brindille était ridiculement grand, mais c'était le seul bois sec à disposition. Après quelques minutes une petite flamme réussit à prendre vie au creux du foyer. Naomie tourna la tête vers la talentueuse dessinatrice qui venait de faire naitre une nouvelle création, une petite poupée de paille.

Il faudra bientôt de nouveau du bois pour que le feu ne s'éteigne pas...

Une fois de plus à observer le nouvel objet passer de main en main, Naomie ne put s'empêcher d'interroger la jeune fille sur son pouvoir. En vérité elle était comme possédée par une curiosité débordante. C'était tellement surprenant ! Puis elle pensait aussi que s'informer sur les pouvoirs des autres l'aiderait elle même à en découvrir davantage sur le siens...

Et vous, qu'est ce que vous savez faire ? Après tout ces dons seront nos armes principales dans cette aventure...

Puis il vint à Naomie une idée farfelue, mais qui ne manquait tout de même pas de l'intriguer...

Vous pensez que Fyrionne aussi à un pouvoir ? Peut être que cette épée a une autre utilité que celle de casser les oreilles à quiconque s'approche d'elle.

Avec tout ce qu'elle avait découvert en si peu de temps dans ce monde, Naomie ne se serait même pas étonné que tout objet puisse avoir un don ou que les murs se mettent à parler. Même si la plupart des évènements étaient dangereux et donc effrayants, cet endroit avait quelque chose d’envoûtant dans son mystère et sa diversité qui intriguait la jeune femme.

Au moment où elle prenait place, Serena faisait apparaître une petite bûche de bois, tout juste assez grande pour servir de combustible pendant une quinzaine de minutes… voire moins. Il fut confié à la benjamine du groupe de batailler avec les allumettes et elle accepta son rôle avec une moue concentrée de guerrière qui se met à la tâche. La nouvelle arrivante se joignit à elle en apportant au mini foyer quelques unes des brindilles les moins humides que la toquée avait rapporté et toute deux réussit bientôt à faire jaillir une petite flamme tremblotante qui dévorait déjà avec avidité le peu de combustible qui était rassemblé. Malgré tout fière de leur œuvre, Selene adressa un grand sourire à Naomie avant que la dessinatrice du quatuor ne lui fasse finalement don d’une figurine d’épouvantail qu’elle avait pris soin d’habiller avec la même chemise qu’elle-même portait quand son pouvoir se déclenchait.

- Ah ! Merci Serena ! Elle est trop bien !

Ses yeux brillaient d’admiration devant le réalisme de l'illustration qui avait pris vie. Enjouée malgré la fatigue et la faim qui se faisait sentir de plus en plus, la galloise montra son cadeau à Zephyr pour qu’elle puisse l’observer de plus près, puis l’approcha de leur ainée qui semblait totalement fascinée par les facultés spéciales de la psychotique avant de la poser sur le sol, appuyé contre ses cuisses.

Naomie fit cependant une remarque sur la nécessité d’avoir du bois et Selene la fixa du tac au tac, affichant une mine entre vexation et étonnement. Elle récupéra le tas installé dans son dos que manifestement, sa collègue n’avait pas vu et le rapprocha du foyer minuscule dans l’espoir qu’il sècherait plus vite.

- Y’en a là ! J’en ai ramassé tout à l’heure. Mais il est humide encore…

Puis elle se tut. Mais la blondinette ne semblait déjà plus être préoccupée par la réplique de la benjamine à l’égard du feu, car elle embrayait déjà sur quelque chose de tout autre. Qu’elles étaient leurs capacités ? La toquée ne s’en connaissait qu’une seule et elle ne pouvait pas en fait la libre démonstration comme Serena. D’un air détaché, elle se mit à jouer avec sa poupée de paille avant de lâcher sur un ton de la conversation :

- J’aime bien les épouvantails.

Certes, ça n’était pas vraiment une explication en soit, mais c’était un début. Selene regarda tour à tour ses camarades puis se résigna à parler la première. De toute façon, elle était la plus jeune hein ?!

- Ma tante disait que ça devenait une obsession, alors elle m’a envoyé chez Parkinson. Moi je les trouve rassurant… ici, je me transforme à moitié en épouvantail quand j’angoisse. Et… c’est tout…

C’était certainement moins impressionnant que la capacité magique de son ainée psychotique, alors la galloise comprendrait que son pouvoir ne mérite pas une ovation de la foule. Elle tira juste un léger sourire avant de tenter d’apporter de nouvelles petites branches au foyer qui commençait d’or et déjà à s’amoindrir. Elles étaient encore un peu humide, mais c’était ça ou rien.
Au dessus d’elles, le ciel commençait à tirer sur une couleur orangée, rendant plus inexorable la venue de la nuit. L’adolescente se demandait de plus en plus si c’était une bonne chose d’attendre le lendemain pour repartir, car cela signifiait perdre une journée sur le trajet, ce qui n’était peut-être pas souhaitable étant donné leur manque cruel de vivres. Mais au vue de leur expérience, tenter une ascension nocturne était presque synonyme de tentative de suicide collectif.

Se souvenant de la question de Naomie au sujet de Fyrionne, elle se contenta de répliquer à voix basse :

- Elle a au moins le pouvoir de casser les oreilles…

Malheureusement, la concernée l’avait entendu, et elle s’en donna subitement à cœur joie à déclamer des chants chevaleresques plus fort encore, qui résonnaient dans la montagne.

La nuit tombait sur cette partie basse de la montagne qu'on appelait « la cheville ». Les hauteurs menaçantes ne protégeaient qu'à moitié du vent les piètres voyageurs qui tentaient de gravir le monstre de roc. Grelottant devant un pauvre feu de camps, les convoyeurs d'arme légendaire purent entendre des voix rompre le silence. Elles venaient d'un peu plus haut, portées par l'écho, d'une caverne qui commençait une centaine de mètres plus loin, en gravissant la pente herbeuse traîtreusement humide au loin, et aboutissait sur une chute rocheuse d'une dizaine de mètres, juste au-dessus des aventurières. Ces voix grelottaient également, mais prenaient de plus en plus d'assurance à mesure que le crépitement vif de leur feu s'intensifiait. Bientôt, un fumet de viande grillé vint jusqu'à leur titiller les narines.

Les voix n'avaient rien d'humaines, elles étaient rocailleuses, rêches, désagréables à l'oreille. Même Fyrione en était désappointé. Mais elle avait déjà rencontré ce genre de voix, ce genre de langage.

« Des hémogobelines ! »

S'écria l'épée ! Pour ceux qui voulaient restés discrets, c'était raté. Aussitôt les créatures intriguées par cet éclat de voix vinrent au dessus de la côte rocheuse pour sonder l'obscurité. Il y virent un léger point lumineux, celui du feux de camps improvisé. Dans leur étrange langage, elles se commandèrent de se saisir de leurs bâtons pour voir de plus près les envahisseurs de la montagne, tandis qu'un des leur restait en haut, projectiles grotesques en main.

Traversant la grotte jusqu'au plancher herbeux, ils redescendirent la pente verdoyante comme sur un toboggan et se ruèrent vers les jeunes filles. Ils étaient 5 à être descendu, 5 bestioles ressemblant à des diables souffrant de nanisme disproportionné. Ils avaient la peau rouge, voire mauve. Ils n'avaient rien d'humains, sauf qu'ils étaient constitués de deux bras et de deux jambes. Des peaux de bêtes et des feuillages leur servaient de vêtements, et de solides bûches sur lesquels étaient encordés des cailloux leur servait de massue ou de fléau. C'étaient des êtres primitifs, et ils pullulaient dans ces montagnes. Ils vivaient en paix, se repaissant de la chasse et de la cueillette. Mais la vie dans ces hauteurs hostiles leur promettaient une espérance de vie relativement courte... les mauvaises rencontres aussi. L'une d'elle lança un charabia incompréhensible ressemblant plus au son d'une avalanche de galets, mais on pouvait le traduire de la sorte :

« Si vous froids, nous avoir feu. Si vous faim, nous avoir viande.
-Ce sont des monstres sanguinaires, lança Fyrione à ses compagnons de voyages, et qui ne comprenait pas plus la langue des Hémogobelines que le commun des mortels.
-Alors quoi en dire vous ?
-Ils se nourrissent d'humains comme vous, il les dépècent, mangent vos entrailles et construisent leurs maisons avec vos os et votre peau. Renchérit l'épée sacrée.
-Vous nous suivre ? Avons eau aussi, et fourrure pour dormir.
-ON VA VOUS PETER LA GUEULE !!! »

Hurla Fyrione dans un élan chevaleresque ! De son joyau incrusté dans son pommeau jaillit un trait de feu qui perça l'ambassadeur des monstres en plein oeil. Il tomba, en hurlant de douleur, se tortillant à terre avant de succomber à l'atroce torture. Sa chute fut le signal pour les quatre autres de venger leur frères, sous la pluie de cailloux qui s'apprêtait à tomber de la grotte au-dessus d'eux.

« Saisissez moi et croisons le fer ! Enfin un peu d'action qui fera saliver la bouche des bardes ! »

Serena était épuisée. Non pas que le dessin avait un effet soporifique chez elle, mais le fait de forcer sur sa vue pour dessiner lui avait refilé un sacré mal de tête. Les paroles incessantes de la nouvelle arrivante ne l’aidèrent pas à se reposer. Malgré son agacement grandissant, l’adolescente prit sur elle. Après tout, ça n’était pas de sa faute, alors elle répondit par un sourire fatigué au compliment de Noémie. Puis elle soupira, soulagée, lorsque Selene prit la parole. Au moins aurait-elle un moment de répit pour se reposer. Et c’est ce qu’elle fit d’ailleurs : ses yeux se fermèrent tandis que sa tête vint se caler contre une pierre encore humide, mais qui bénéficiait de l’apport de chaleur grandissant de leur jeune feu. Ses mains se glissèrent entre ses jambes croisées, et la chaleur irradiait déjà ses extrémités. Ce sentiment de bien-être la fit légèrement sourire. Les flammes dansaient dangereusement au dessus du bois, le crépitement atténuait les bruits étranges et inquiétants de la nuit grandissante. Son ouïe s’était développée du fait de sa cécité, et elle distinguait parfaitement les voix de ses deux collègues. Seul le sifflement désagréable de l’épée maintenant l’adolescente éveillée.

C’est un cri plus présent que les autres qui fit sursauter Serena. L’épée avait abandonné son éternel chant pour un cri apeuré et signal d’un danger imminent. Finalement, elle pouvait se rendre utile cette épée magique. Cette pensée cynique de la part de la jeune fille ne l’éclaira cependant pas plus quand à la nature du danger.

- Des quoi ?!?

Avait-elle bien entendu, des hémogobelines ? Le jeu de mot était-il volontaire ou l’épée en question les faisait tourner en bourrique ? Soudain, un bruissement étrange s’échappa du paysage nocturne. Quelqu’un, ou plutôt quelque chose se déplaçait. Et ce quelque chose n’était pas seul ! Aveuglée, la jeune fille recula au plus profond de sa cachette précaire, mais le feu empêchait de distinguer clairement les formes dissimulées dans l’ombre. S’ils voulaient les attaquer, ils devraient se montrer. C’est d’ailleurs ce qu’ils firent. Le cri de l’épée et la lumière du feu les avaient bien aiguillés, c’était certain.

C’est ainsi que des créatures difformes se matérialisèrent à une distance de sécurité du feu. Un mélange de rouge et de violet, des feuilles de-ci de-là, quelques pierres comme armes… des armes ! Ainsi, ils voulaient réellement s’en prendre à elles ?!?

- Non, s’il vous plait…

Mais le son caverneux qui s’échappa d’une des cinq créatures arracha un cri apeuré chez la jeune fille, et la réduisit au silence. Que voulaient-ils, l’épée ? Serena la leur céderait sans lutter ! Sa propre survie était plus importante que le propriétaire de cette épée mauvaise en chant ! Fyrionne semblait s’être improvisée traductrice car elle commentait, d’une voix surexcitée la tentative de dialogue de la créature. Ils connaissaient les pourparler ? Le regard de Serena oscillait entre le regard curieux et animal des créatures patientes et l’excitation de l’épée. S’ils avaient voulu s’en prendre à eux, n’auraient-ils pas attaqué dès le cri de Fyrionne ? L’épée ne semblait pas du même avis, et elle prit une décision insensée à la place des voyageuses.

Après un violent cri annonçant le début d’un long et douloureux combat, une lueur s’échappa du joyau ornant l’épée pour aller frapper la créature un peu trop bavarde. En un rien de temps, les quatre autres créatures se raidirent et empoignèrent leurs armes. S’ils n’avaient rien de rassurant à première vue, maintenant que la vengeance illuminaient leur faciès, Serena les trouva d’autant plus effrayants.
Que faire ?! Se défendre bien sur. L’explication avec cette épée sadique et meurtrière se ferait plus tard. Après tout, elle avait su montrer qu’elle servait à autre chose qu’à chanter.
Serena se rua sur l’épée, manquant de s’effondrer sur une pierre qui servait à contenir leur feu précaire. Coup du destin ou non, sa perte d’équilibre, lui permet d’échapper à une volée de cailloux, petits, mais aiguisés venus d’on-ne-sait-où. Ses mains moites se refermèrent sur la poignée brillante de l’épée, mais le poids de l’arme était un réel problème. Si bien qu’elle ne fit que basculer le long du rocher pour s’affaler sur un pied d’hémogobeline en colère. Effet de sa vue ou non, le visage de la créature sembla devenir encore plus rouge, tandis que ses yeux injectés de sang s’écarquillaient de douleur.

- Oups.. dés…

Serena ravala ses excuses, d’une part parce que les hémogobelines ne les comprendraient certainement pas, et puis qu’ils étaient passés d’inconnus à ennemis en l’espace de quelques minutes. Avant que la créature blessée ne se ressaisisse, la jeune fille devait saisir l’occasion pour la mettre hors d’état de lui nuire. Mais de là à la… tuer, il y avait un monde. Serena essaya de nouveau de s’emparer de l’épée. Elle réussit au moins à la redresser, pointe vers le haut, telle une fourche. En même temps, elle cherchait du regard une éventuelle autre paire de main qui pourrait lui venir en aide. Elle était marrante cette Fyrionne, comment une seule fille pouvait l’empoigner ?

Il avait fallut peu de temps pour que suite à leur discussion, la nuit tombe sur les montagnes. Selene avait fait ce qu’elle pouvait pour maintenir leur petit feu avec quelques unes des branches les moins humides, mais même si elles pouvaient au moins jouir d’une lueur orangée et d’un peu de chaleur, leur feu de camps n’était pas ce qui se faisait de plus folichon. Si Serena parvint à s’assoupir, belle endormie contre un pan de rocher, la toquée n’arrivait pas à oublier les gargouillis affamés de son estomac qui s’intensifièrent quand une odeur de viande grillée vint titiller ses narines. Elle réalisait du même coup que ce qu’elle prenait auparavant pour des bruits naturels résonnant dans les montagnes semblaient s’apparenter à des voix qui conversaient dans un langage qu’il lui était impossible à comprendre. Elle tendit l’oreille, échangea un regard avec Naomie et Zephyr, puis se mit lentement sur ses pieds pour s’aventurer hors de leur cachette de fortune et tenter de discerner quelque chose.

Du moins, c’est l’intention qu’elle avait eut car Fyrionne s’écria soudainement un nom qui fit sursauter la galloise. Désormais, l’épée magique avait cessé de marmonner ses chants interminables et le silence de plomb qui s’était installé était lourd et insoutenable. Selene n’osait plus bouger, à tout juste quelques mètres de ses camarades, et finalement, après plusieurs minutes de mutisme oppressant, cinq bestioles étranges firent leur apparition. Naines, disgracieuses, rouges, la jeune fille ne savait même pas si elle devait les classer dans la catégorie des êtres humanoïdes ou des animaux. Ils étaient habillés de manière assez sommaire et leurs armes, bien que pittoresque, suffisaient a effrayé la toquée qui n’avait aucune expérience du combat.

Manifestement, les hémogobelines cherchèrent à communiquer tandis que Fyrionne se complaisait dans des contre-indications sinistres. Rendue anxieuse par la situation, le paroxysme fut atteint quand une gerbe de feu jaillit du pommeau de l’épée pour abattre l’une des créatures d’un seul coup bien placé. Subitement, la galloise se retrouvait à demi épouvantail, ses bras de branches n’étant plus d’aucune utilité pour saisir de quoi se défendre.

Une des nains rouges bondit au devant d’elle, grognant rageusement avant de lui balancer un coup de massue dans le ventre. Selene avait fermé les yeux par réflexe, mais l’arme ne fit que s’enfoncer mollement dans la paille sans lui délivrer aucun message de douleur. Après un instant de flottement conséquence de la surprise autant de l’hémogobeline que de l’adolescente, celle-ci poussa un cri en cherchant à le repousser, « mains » en avant. Par inadvertance, elle mit une branche dans l’un des yeux globuleux de son assaillant qui pesta à son tour, laissant échapper sa massue pour porter ses mains à son visage.

Brusquement, une volée de cailloux se mit à pleuvoir de façon aléatoire sur leur plateau. Certains heurtaient mollement la partie insensible du corps de la jeune fille, d'autres lui tiraient des exclamations de douleur, et d’autres encore la manquaient de très loin. Un autre des petits diables rouges s’approchait d’elle, l’air menaçant, munit d’un bâton hérissé de pierres aiguisées qu’il frappait régulièrement dans sa main en signe d’hostilité. Selene reculait, incapable de savoir quoi faire, et trébucha sur une pierre au moment où un autre des projectiles grotesques lui arrivait sur la tête.

- Euh… attendez ! On n’a pas voulu le tuer ! C’est Fyrionne qui…

Mais elle interrompit sa complainte. D’une part, parce qu’il y avait sans doute aussi peu de chance que ces créatures comprennent leur langue que eux comprennent la leur. Et d’autre part, parce que dans le cas où l’épée avait raison, elle leur avait très certainement sauvé la vie, et elle n’avait aucune preuve à apporter pour prouver le contraire.

Quand son assaillant fut tout proche, prêt à la frapper, la galloise obéit au premier réflexe qui était de lui balancer son pied dans la figure. L’hémogobeline était si petit que le coup l’atteignit en plein dans son nez difforme qui craqua d’une manière horrible avant de laisser s’échapper un flot de sang pourpre qui ne tarda pas à inonder la main qu’il avait porter à son visage dans un grognement de douleur. Réalisant son succès, la jeune fille réitéra nerveusement son attaque, frappant la créature à la tête certainement plus fort qu’elle l’avait voulut, car cette fois, ce fut sa nuque qui céda bruyamment, avant qu’elle ne s’affaisse dans un dernier râle de souffrance.

Paralysée par ce qu’elle avait fait, Selene restait au sol, appuyée sur ses coudes, ses yeux écarquillés fixés vers la petite silhouette rouge et hideuse. Couvrant le vacarme de l’affrontement, Fyrionne que Serena tentait de manier claironnait :

- Ouai ! On va tous vous pourfendre ! Foi de lame légendaire que jamais je ne trépasserai !