Elle continuait de vernir ses ongles, comme si leur couleur naturelle était à cacher à tout prix.
Shannon n’aimait pas les pieds. En général, les gens avaient des pieds moches, plus moches qu’eux-mêmes. C’était une partie immonde du corps.
Mais la jeune femme supportait ses ongles. Ils n’étaient pas trop moches. Bien sûr, c’était loin d’être la plus belle partie de son corps, mais comparés à certains, ses orteils n’étaient pas étranges, disproportionnés et répartis un peu n’importe comment, avec un orteil à l’écart qui faisait la gueule aux autres. Si elle ne les aimait pas, elle ne porterait pas aussi souvent de chaussures qui les laissaient à l’air.

En parlant de faire la gueule, elle ne daignait pas lever le regard vers les autres esclaves en devenir, qui s’engraissaient avec cette merde qui leur faisait guise de nourriture.
Comme elle s’y était attendue, la brunette dont elle ne connaissait toujours pas le nom – qui l’aurait d’ailleurs bien fait rire – avait répliqué, toujours avec une ironie moisie et un sens de la solidarité qui la dégoutait tant c’était conventionnel. Cependant, la provocatrice s’était attendue à quelque chose de pire, observant déjà ses ongles, alors qu’elle disposait soigneusement les couteaux, pour s’assurer qu’en cas de dérapage qui entrainerait un combat, elle pourrait lui faire mordre la poussière à coups de griffes.
De toute façon, c’était elle qui avait les couteaux. La pire cheftaine de l’histoire ne l’aurait pas à coups de serviettes !

Mais elles n’en étaient pas arrivées à là, et il fallait dire qu’elle s’en sentait soulagée. L’instinct de survie et sa fierté la poussaient à se battre s’il le fallait, mais sa faiblesse et sa crainte d’un rapport physique préféraient éviter de s’engager dans ce terrain-là…
De plus, elle ne pensait pas pouvoir faire le poids face à cette fille. On ne pouvait pas le savoir, mais avec des bases en combat comme celles de Shannon, la victoire pour l’adversaire était presque assurée.

Celui lui rappelait des choses… Les seules fois où elle était ressortie triomphante d’une bagarre, c’était grâce à sa maladresse. A force de coups donnés à l’aveuglette avec une certaine force – car c’était plutôt ses aptitudes et la technique qui lui faisaient défaut – on finissait forcément par toucher sa cible.
Il fallait dire qu’elle aimait ce genre de maladresse, mais beaucoup moins celle qui faisait tomber toutes les boites de chaussures dans un magasin juste parce qu’elle en reposait une.

Elle entendit Dakota la présenter à sa place, et leva enfin la tête, comme si on lui avait adressé la parole. Non ! Pourquoi l’avait-elle dit ? C’était tout ce qui lui restait ! Si elle ne s’était pas présentée, c’était pour une raison : elle voulait maintenir une distance entre elle et les autres. Maintenant, elles se connaissaient toutes ! En fait, non… Mais elles, elles la connaissaient.

Comme Madonna qui avait volé le coming-out de son frère, Dakota avait volé l’identité de Shannon. Elle la méprisait intérieurement, de se montrer si amicale avec les nouvelles qu’avec elle lorsqu’elles s’étaient parlées la première fois, et tout au long d’ailleurs.
Mais elle n’était pas étonnée pour autant. Cette petite chieuse jouait tout simplement la fayotte pour trouver des nouveaux genoux plus confortables sur lesquels se reposer. Elle se posait tout de même cette question : qu’est-ce qui la poussait à être si froide envers Shannon, et, quoique crue, sympathique avec les autres ? Il fallait dire qu’elle n’avait pas l’air très enjoué, comme d’habitude, mais c’était toujours mieux qu’avec l’autre blonde.

Shannon avait l’habitude de se placer en victimes, mais ce soir elle atteignait des sommets, et ne le faisait même pas exprès.

Puis, comme par pitié, celle qu’elle avait appelée « poupée » (et qu’elle allait continuer à appeler de la sorte, mentalement – ou pas – tant qu’elle ne saurait pas son prénom) lui apporta deux gâteaux, parlant d’hypoglicémie ou une connerie du genre.

Comme si j’avais besoin de son aide… Et surtout, comme si j’allais manger ses gâteaux dégueux. Trop… caloriques pensa-t-elle, en rapportant à nouveau son attention à ses pieds, après avoir levé nonchalamment la tête vers une autre fayotte qui voulait sûrement se donner une bonne conscience et surtout une bonne image. Elle se prend pour le messie… poursuivit-elle mentalement.

Cependant, lorsqu’elle partit, un sourire se forma sur les lèvres de Shannon. Bien qu’elle ne l’aie pas remerciée, ce rictus qui avait déformé malgré elle ses lèvres voulait tout dire, et elle fut ravie que personne ne put l’apercevoir car ça aurait été tout bonnement un signe de faiblesse.

Ne jamais s’avouer vaincue. Il ne fallait pas qu’elle change d’opinion parce qu’elle lui avait donné des gâteaux sûrement périmés qui lui donneraient la chiasse. Malgré cela, elle en mangea un et… fut agréablement surprise. Elle le finit avec plaisir, et alors qu’elle allait entamer le deuxième, elle s’abstint : ne mangeant pas quelque chose d’aussi solide que les autres, mais sûrement meilleur, elle aurait sûrement plus faim. Elle le fourra dans sa poche, discrètement pour que personne ne le lui vole.

Elle pensa à quelque chose : s’il donnait la chiasse, malgré les inconvénients bien évidents, il y avait un avantage que seule une fille comme Shannon pouvait en tirer : elle perdrait quelques bons deux kilos, et plus si elle s’avérait utile. Mais le poids qu’elle se trimballait en ce moment était satisfaisant.

Enfin bref… Elle avait fini son vernissage… Elle croisa les bras et se mit à chanter intérieurement, bougeant un pied pour trois raisons : au rythme de la chanson qu’elle avait en tête forcément, nerveusement de surcroit, à cause du voyage et des autres. Et forcément, il fallait que le vernis sèche, désormais…

Elle rangea son pot de vernis dans une autre poche que celle dans laquelle se trouvait le gâteau, histoire que ça ne se renverse pas. Elle en doutait, car elle était très précautionneuse quant à ce genre de trucs, mais un accident pouvait vite arriver. Surtout ici…

Lys tentait tant bien que mal de faire honneur à son repas... sans grand succès. La petite blonde lui fit remarquer par une remarque cinglante sa naïveté, tout en lui assenant le coup de grâce. Trompée de jumelles ? Merde ! La rouquine rougit, lançant un regard d'excuses aux deux brunes avant de fixer de nouveau son assiette.

- Pardon Elie, Jade... J'ai un peu de mal avec les noms alors... Désolée...

Lys n'osait même plus les regarder de peur de se tromper encore de jumelle. Elle avait toujours eu des difficultés à mémoriser les noms des gens et n'avait pas eu beaucoup d'amis pour s'exercer, généralement elle donnait des surnoms aux gens - comme Barbie - alors, avec des jumelles... C'était encore pire ! Mais heureusement, Cyanur essaya tant bien que mal de rassurer la rouquine, qui lui rendit un sourire timide. Elle était gentille, et sans doute la plus saine d'esprit ici. Peut être la seule à qui faire confiance !
La jeune fille avala sa dernière pomme de terre avec dégout avant de poser son assiette au centre de la table et fixa avec tristesse le garde.

Si seulement il était parti manger avec les autres on aurait qu'à se faufiler dans les couloirs et...

Et quoi ? Elles étaient sur un bateau, même si elles s'enfuyaient de la cuisine on les retrouverait forcément, il n'y avait aucune échappatoire. Et le rendez-vous avec le capitaine qui se rapprochait dangereusement n'était pas pour rassurer la rouquine ! Pourtant Lys avait tellement envie de s'enfuir de cette cuisine crade, de cet infâme bateau, de cette mer oppressante ! Elle voulait retrouver la chaleur rassurante du feu de camp, la présence de Jonh contre elle, l'odeur enivrante de son cou, la douceur de sa peau...

NON NON NON ! On se calme là-haut ! C'est pas le moment de fantasmer ! Et puis comment ça FANTASMER ??? T'es coincée sur un bateau là, faut te bouger à trouver des solutions pas penser à un... ami. Simple ami ! Alors allez, cherche des solutions. Des solutions...

Lys réfléchissait en fixant la porte, se grattant la nuque. Réfléchir, c'était bien beau, mais la dépressive avait bien du mal à trouver un infime espoir dans cette cale sordide, alors des solutions pour en sortir... Tout ce qu'elle voyait, c'était de tabasser tous les gus du bateau, ce qui était physiquement impossible. Ou alors il fallait... se mettre le capitaine dans la poche en...

HORS DE QUESTION !

Rien que l'image de la façon dont elle pourrait amadouer le drôle de capitaine lui donnait envie de rendre son repas - même si c'était pas bien compliqué... Lys soupira. Elle se sentait seule, sans espoir, plus déprimée que jamais...

- On en sortira jamais...

Tic tac, tic tac, l'heure tourne, et Gutberg sent venir son heure de gloire. Sans ménagement il appelle les demoiselles et les mène durement jusqu'à la cabine du Capitaine...

Lys, Elie et Cyanur >>>> La cabine du capitaine.

Le club des petites gentilles, qui faisaient de la bicyclette le dimanche après-midi sur un arc-en-ciel après avoir laissé tout de même un petit verre de thé à Monsieur Nounours et Sainte Marie, leurs doudous, qui étaient censés s’animer et jouer à la dinette, continuait de parler de ce qu’il allait advenir d’elles dans la cabine du capitaine.
Shannon avait la réponse : rien. Absolument rien. Que pouvaient-elles tirer d’un travelo ? Rien, c’est lui qui tirerait quelque chose d’elles, à savoir leurs vêtements, leurs cheveux peut-être et pourquoi pas des conseils de beauté, son idée initiale. Et comme tout était possible, il prendrait peut-être leurs seins, ou plutôt leurs demi-citrons. Après tout, elles étaient à Dreamland, et la Ciccone était moche ici.

Rien n’était impossible… Elle était même persuadée que si on la décapitait, son corps pourrait continuer à bouger. Elle préférait tout de même ne pas tenter l’expérience…

Shannon, en fin de compte, ne se sentait pas du tout vexée ni frustrée de ne pas avoir été choisie. Comme si c’était un honneur… Ca aurait été un Apollon à la limite, elle s’en serait mordue les doigts. Mais il n’y avait absolument rien à perdre à ne pas être convoquée dans son antre.
D’après Dakota, il attendrait d’elles des faveurs sexuelles en échange de quelque chose. Mmh… Les gens pourraient penser que Shannon sauterait sur l’occasion si on la lui offrait, mais non : si Shannon veut obtenir quelque chose, c’est elle qui mène les gens à la baguette, pas le contraire. Jamais elle n’accepterait de coucher avec quelqu’un afin d’obtenir quelque chose en retour si ce n’est de sa propre initiative.
Et de toute façon, la jeune femme ne supportait pas d’avoir à partager. Elle n’était pas une parmi tant d’autres, clairement pas !

Cela lui fit penser à Liam. Dès qu’elle le reverrait, il faudrait se donner à fond : sa jupe n’était plus seulement brûlée à cause de la petite usurpatrice, elle était également fendue comme une robe chinoise en version très courte. Bien que ça la gênait, peut-être que Liam aimerait ça. Elle l’espérait en tout cas.
Si elle avait su pour Jade, elle aurait été… verte de jalousie. Le viol n’a absolument rien d’enviable, mais elle remettrait en doute son sex-appeal, qui, apparemment, n’avait pas été suffisamment attrayant pour que Liam la choisisse. Si seulement la petite peste blonde n’avait pas accaparé ses cuisses, le criminel aurait pu les écarter… !
Mais il ne fallait pas que les choses aillent trop vite. Comme pour celui qui l’avait hébergée à son arrivée, il fallait qu’elle se fasse désirer, aussi longtemps que possible.

Mais elle n’en était pas encore là, car il y avait toujours Ella. Elle espérait profondément qu’ils soient séparés. De toute façon, cette petite n’aurait aucun mal à se retrouver un papa…

Elle fut coupée dans ses pensées par Cyanur, qui agressa littéralement Dakota. Elle en jouit intérieurement : si Dakota avait espéré faire amie-amie avec elle, c’était mort. Pas que Barbie la veuille pour elle toute seule, très loin de là. La personne qu’elle voulait pour elle, c’était Liam.
Pour elle, Dakota était froide, c’était certain, mais juste avec Shannon. Elle l’était toujours avec les autres, mais moins. Elle avait déjà moins l’air de les prendre pour des idiotes. Pourquoi ? Parce qu’elles n’étaient pas blondes peut-être, et pas à la mode. C’était ça qui la gênait, et maintenant, l’adolescente se retrouvait comme une conne.
Ca ne lui ferait que du bien d’être rabaissée !

Cependant, elle n’était pas la seule à baisser dans son estime. En effet, Cyanur, déjà bien bas, en rajoutait une couche qui la rendait encore plus méprisante, même s’il fallait dire qu’elle l’avait bien faite rire en envoyant balader si directement Einstein. Elle n’avait pas ri à gorge déployée, préférant rester derrière son mur de silence. Mais elles étaient très mal parties pour s’entendre dès le début, car Shannon s’était mis en tête de la haïr. Le gâteau qu’elle avait donné ? Un simple acte de profit, pour montrer que ce n’était pas une salope finie, juste une bas-de-gamme.
Tant mieux, d’un côté.

Enfin, l’affreux vint chercher les petites chouchoutes du capitaine. Bien qu’elle ne cessait de se dire qu’elle s’en fichait, et c’était la réalité, elle se demandait tout de même pourquoi elle n’avait pas été choisie. Jade était… molle. Très molle, et avait l’air pas mal coincée. Dakota, trop plate et trop tête à claques. Mais Shannon était parfaite : elle avait un corps de déesse, un visage harmonieux (si on veut) et surtout des aptitudes sexuelles que le capitaine n’imaginait même pas. Mais ce-dernier devait être du genre maso, une sorte de fétichiste des incompétentes.

Une dernière fois, Shannon et regarda avec une insistance non dissimulée leurs fesses. Il n’y avait là rien d’extraordinaire. Tant pis pour le capitaine ! De toute façon, Shannon aurait refusé. Elle n’avait pas très envie de fouetter une tantouse.

Désormais, elles n’étaient plus que trois. Le silence qui s’était alors installé était tout à fait pesant, même pour Shannon. Tout à l’heure, elles parlaient entre elles, et Shannon pouvait les écouter d’une oreille peu attentive. Mais là, personne ne disait un mot. Elle décida de se lever, faisant claquer ses talons au sol, et reprit sa place initiale.

« Pas une tête de violeur, c’est sûr. Il aurait trop peur de se casser un ongle. »

Elle avait chuchoté ces paroles à l’adresse de Dakota, mais elle avait plus l’air de parler pour elle-même. Elle n’était au courant de rien concernant Jade, mais heureusement pour elle, celle-ci ne semblait pas avoir entendu.

Elle la regarda un moment : elle était plutôt jolie, et comme l’autre qui avait été appelée était sa copie conforme, elle comprenait mieux le choix du capitaine. Mais cela ne justifiait en rien qu’il ne l’ait pas choisie. En plus, c’était une pucelle. Quelle honte… Et ça s’affirmait femme ?

Bon… Et maintenant on fait quoi ? On est toujours en pause j’espère.

Elle continuait d’agiter nerveusement ses pieds. Le vernis n’avait pas encore vraiment séché…

Malgré la certitude qu’elle tentait de s’imposer, Shannon ne cessait de penser à ce que les trois pucelles allaient faire dans la cabine du capitaine, avec lui. Bien qu’elle essayait de croire que non, ils n’allaient pas coucher ensemble, cette hypothèse ne cessait de lui revenir à l’esprit. Elle préféra arrêter d’y penser, ne parvenant pas à chasser l’idée. De toute façon, ça ne la concernait nullement de près ou de loin, donc ça ne l'intéressait pas.

Elle détourna son regard du vide pour le ramener sur Dakota qui semblait ne pas vouloir s’étouffer pour lui répondre. Après une telle attente, la jeune femme aurait au moins mérité une réponse digne de ce nom, mais la petite se contenta de dire qu’elle ne savait pas. A quoi est-ce que ça servait alors d’être surdoué quand on ne pouvait même pas savoir un truc qui semblait parfaitement con ?

L’adolescente la regardait toujours avec cet air méprisant. En réalité, il était tout à fait neutre, mais le désir ne brûlait pas dans ses yeux. Heureusement, car Shannon n’aurait pas su comment la rembarrer, mais elle n’aimait pas du tout ce regard qui n’exprimait rien. A défaut d’éprovuer de l’attirance, elle pourrait au moins montrer de l’admiration !

Heureusement pour Barbie, son « interlocutrice » ajouta ensuite quelque chose de plus complet.
Avec son regard bovin accompagné de ses sourcils relevés qui lui donnaient un air mi-inquiet total-idiot, elle répondit :

T’es pas voyante, mais t’es… enfin tu vois…

Elle semblait faire un effort surhumain pour le dire sans blesser son égo, mais en réalité elle cherchait juste le mot.

… supérieure…

Que… Quoi ?! Quelle honte d’avoir dit ça à une petite ! Elle ne laissa rien transparaitre dans son regard, et tentait de sauver la mise.

Enfin… dans ton domaine finit-elle par dire d’un air hautain, s’accoudant à la table à laquelle elle était de dos sur sa chaise, croisant ses jambes et scrutant ses ongles tout en les tripotant. Le vernis à ses ongles était en bonne voie pour sécher vite, et très bientôt il le serait complètement. En attendant, il luisait. Elle détourna le regard violemment, craignant qu’il ne reflète son visage et ne provoque une autre transformation…

La petite blondinette regardait sa main atrophiée, qui tira une grimace de dégoût à Shannon, lui faisant détourner le regard et ne l’épargnant pas d’un petit « berk ».
Puis, voyant sa comparse se diriger vers une bouteille d’alcool qu’elle reluquait, elle s’exclama :

Hey mais qu’est-ce que tu fais, t’es trop jeune pour ça !

C’était une spirale infernale. A une époque, elle avait eu des doutes sur la sobriété de son agresseur laideron, de qui était partie cette phobie pesante qu’elle se trimballait encore et qui l’avait menée dans ce monde de merde.
Non, lui, il n’était pas bourré, juste amoureux (et elle le comprenait) et moche. Un laid ne pouvait pas être gentil. Liam en était le parfait exemple, même s’il avait un certain sex-appeal auquel elle n’était pas vraiment sensible, mais qu’il fallait lui accorder. Il ressemblait à ces méchants dans les séries qui sont censés être attirants, mais les directeurs de casting ont toujours un coup dans le nez…

En tout cas, nombreux sont les beaux pères alcooliques que Shannon a vu passer, étant donné qu’ils ne restaient pas longtemps chez elle et que sa mère s’empressait d’en ramener un autre. Elle savait ce que l’alcool était. Une fois, ses amies avaient décidé de faire une petite virée entre filles pour inaugurer la voiture qu’une d’elles venait de se voir offrir. Shannon n’eut pas le droit d’y aller à cause d’une heure de colle pour insolence, et heureusement car après quelques verres, elles avaient repris la route et eu un accident. Aucune d’elles n’était morte mais elles étaient sacrément amochées. Il y en avait une qui était d’ailleurs devenue sacrément moche !

Même si elle n’aimait plus vraiment Dakota, elle ne lui souhaitait pas cela, elle se leva alors de sa chaise pour empêcher la jeune fille de boire une gorgée de plus mais elle la retira de sa bouche. Shannon cria à l’idée que, dans une crise de folie meurtrière, elle ne lui casse la bouteille sur la tête et la finisse au tesson. Elle s’éloigna, se protégeant instinctivement le visage mais se risqua tout de même à passer un œil entre ses deux avant-bras pour constater qu’elle désinfectait seulement la blessure. Elle les baissa de soulagement, puis se crispa en laissant échapper un cri strident lorsqu’Einstein fit tomber la bouteille, qui se brisa.

Elle se dirigea vers l’adolescente pour l’aider à ramasser les bris de verres, craignant tout de même de se couper, mais elle fut elle-même coupée par une sorte de clown dans un accoutrement de gothique. Shannon les méprisait. Un tel manque de classe la dépassait, et surtout comment pouvait-on être aussi cliché qu’eux ? Shannon n’aimait pas les clichés. D’ailleurs, elle représentait peut-être un cliché mais pas totalement. Seulement en apparence. Et elle était bien plus intelligente qu’un cliché !

Toujours est-il que ce cliché moisi l’avait coupée dans sa bonne action. Soit ! Elle retourna s’asseoir, prenant un air soulagé de ne pas avoir à s’agenouiller pour ramasser du verre, mais elle était en fait contrariée et frustrée. Elle scruta un instant la jumelle restante, qui avait toujours l’air d’une mongolienne.

Quelle équipe… !

Elle rapporta son regard sur la nouvelle arrivante, qu’elle examina avant de lâcher spontanément :

Qui t’es ?

En réalité Janna n'était pas aussi terrorisée qu'elle pensait l'être. Quelle drôle de situation... Situation qu'elle ne comprenait d'ailleurs absolument pas. Elle se posait des questions, certes, mais finalement, étrangement elle était d'un calme et d'une sérénité déconcertante.

Elle qui d'habitude était la première à crier au cinéma devant un film d'horreur.
Elle qui tremblait et manquait de défaillir à la vue d'une seringue lors de ses divers vaccins ou autres prises de sang.
C'était comme si elle n'avait pas encore pris conscience de la galère dans lequel elle venait de s'embarquer.

C'était une autre réalité. C'était quelque chose d'intelligible, quelque chose qu'elle ne pouvait pas encore saisir. Et c'était peut être pour cela qu'elle n'avait finalement pas cédé à la panique. Etrangement elle était même heureuse. Ici c'était... Bien. Elle vivait une aventure. Quelque chose d'incroyable, comme dans les films. Sauf que c'était du chiqué, du faux. Pourtant... Cela semblait si réel... Cette douleur au crâne au ventre, au poignet que le marin avait serré trop fort. Qu'il était bon de se sentir vivante, qu'il était bon de vivre tout simplement... Car dans son studio à San Francisco elle s'était coupée du monde. Comment avait elle pu se renfermer à ce point? Comment avait elle...

Oui Janna était encore perdue dans ses pensées freudiennes tout en ramassant le verre d'un geste mécanique. Le regard plongé dans l'alcool qui couvrait le plancher.

Soudain une voix la fit remonter à la surface. Elle n'était pas sûre d'avoir bien entendue car elle était trop absorbée dans ses pensées à ce moment là. Elle leva les yeux vers cette nouvelle interlocutrice. Elle haussa un sourcil les yeux braqués sur la femme qui venait de l’apostropher et s'immobilisa toujours à genoux les mains traînant dans le liquide. Elle n'avait pas fait attention à sa présence en arrivant, concentrant toute son énergie sur la petite fille qui semblait si inoffensive. Mais comment avait elle pu ne pas la remarquer, cette femme était d'une beauté qui donna l'envie à Janna d'aller se pendre immédiatement. C'était... Une... poupée Barbie…grandeur nature.

"..."

Bien qu’elle en ait vu pas mal à San Francisco, elle n’en avait jamais vu d’aussi réaliste. Non! pas d'aussi ressemblante à la vraie Barbie, c’était un véritable copier/coller. Mise à part que celle ci n'avait pas les bras en angle droit et les mains rigides. C'était peut être Barbie elle même qui s'était réveillée !!

"..."

Elle se souvint soudain d'une rixe qui avait eu lieu dans un bar uniquement fréquenté par cette sorte de gens les « Ken et Barbie ».
Elle s'était retrouvée là avec son groupe à jouer leur musique de délurés qui ne collait pas du tout à l'ambiance générale. Une musique qui ne disait absolument rien à l’audience. Forcément… allez jouer de la folk psychédélique à des planctons cela aurait la même efficacité. Ils s'étaient fait sortir à grand coup de silence et de huées (cela alternait). Ils étaient méprisés se faisant traiter de drogués (ce qui était vrai on ne pouvait pas les contredire...) et Janna qui avait il faut le dire un petit pet au casque ce jour là était descendue de scène pour en cogner une qui avait osé hurler qu'elle chantait faux. C'était d'ailleurs la seule fois de sa vie qu'elle avait frappé quelqu'un.

"..."

C'eut même été un bon souvenir si la Barbie énervée n'avait pas malencontreusement prit le dessus... D’ailleurs maintenant qu’elle y pensait… C’était également une belle réalisation de Barbie, une copie conforme. Ce pourrait il que…?
Janna eu un rire en coin, les yeux vides de toute présence, plongée dans cette réminiscence.

"..."

Mais passons.... Revenons à la question qui lui était posée, qui était elle? Elle ne le savait pas elle même. Enfin si... Elle le savait bien évidemment mais ... Pas vraiment en profondeur... Comment dire... Elle se savait mais pas complètement. Et who cares ? La question "qui t'es' ne veut pas dire "qui es tu vraiment? Qui es tu en profondeur ????" Elle veut simplement dire... " Quel est ton prénom?" ou bien encore "qu'est ce que tu fais là?" en clair " Qui t’es quoi bordel !! " Pas la peine de s’attarder trois heures sur cette question anodine…

"..."

Lui vint tout à coup une idée. Ici elle pouvait jouer un tout autre jeu. Se faire appeler autrement, être quelqu'un d'autre. Ou bien pouvait elle simplement éluder cette question par une autre question, genre " et toi t’es qui ? On se présente d'abord si on veut savoir l'identité de l'autre !" "Non mais! Quel toupet ! Gnagna ! Je te tirerais bien la langue toi ! A être trop belle ! "

"..."

Elle se rendit compte qu'à force de tergiverser avec elle même un silence pesant s'était installé. On attendait sa réponse. Ca y est ! on la prenait sans doute pour une attardée maintenant!! Voir pire ! Viiiite!! Une réponse !!!

" Heum, Je suis… Janna, je viens de San Francisco. " dit elle enfin après ce long silence et cette longue immobilité. Elle ajouta de suite pour éviter que le silence ne retombe :
" Et vous toutes? C'est quoi ici? "
Cette deuxième question fut à moitié ravalée. Elle se sentit honteuse de demander. C'était stupide, elles allaient lui rire au nez.

C’était… pitoyable. Jade (elle apprenait enfin son nom) aurait mieux fait de continuer à fermer son clapet, car lorsqu’elle l’ouvrit c’était pour faire une sorte de remake d’un mauvais film d’horreur qui mettrait en scène des esprits damnés s’embarquant dans un voyage jusqu’en enfer… Pitoyable, oui ! Alors que l’ambiance que sa réplique imposait était censée être morbide et angoissante, Shannon ne pu retenir un sourire moqueur à l’égard de la jolie brunette, qui avait vraiment l’air d’une tarée.

Elle les suppliait de rester avec elle. Chacune d’entre elles. La jeune femme s’en sentit flattée, car elle ne s’était jamais parlé et elle se sentait d’hors et déjà importante aux yeux de Jade. Elle aurait pu avoir pitié, mais c’était foutrement ridicule et un peu flippant sur les bords.

Janna, qui l’avait précédée, n’avait pas vraiment l’air plus saine d’esprit. Elle avait pris un temps fou à lui répondre, tout simplement pour lui dire son prénom. Elle prit tout de même la peine de lui répondre d’un ton neutre, ne laissant pas transparaitre son mépris pour la nouvelle venue.

Shannon.

Elle ne prit pas la peine de présenter les deux autres. Après tout, elle, elle ne volait pas la présentation des autres ! N’est-ce pas Dakota… ?
Shannon tenta alors de trouver quoi répondre à « Janna », mais elle savait qu’elle n’y arriverait pas. Comment décrire cette espèce de monde ? Et de toute façon, ses deux comparses avaient pris les devants pour présenter la situation à Vampirella. Jade d’une manière théâtrale, et Dakota plus simplement et… beaucoup plus effrayant !!!

Qu… Quoi ? Tout ce qu’on a imaginé dans nos rêves est ici ? s’exclama-t-elle, se levant de sa chaise et reculant contre un mur tout en bégayant ces paroles qu’elle eut du mal à sortir. Elle tremblait et des larmes lui montèrent aux yeux.

Le monstre qu’elle s’était imaginé depuis cette terrible nuit où elle avait perdu l’usage de ses talons préférés et qui hantait depuis ses rêves… Elle était donc ici ? Elle avait aussi rêvé qu’elle couchait avec un de ses beaux-pères éphémères… Ca allait donc arriver ? Non !! Pas qu’il soit moche, au contraire, il était même très attirant et elle en jalousait sa mère. Mais elle ne voulait pas la trahir, quand bien même c’était un monde imaginaire et peu importe le peu d’affection qu’elle pouvait porter à sa mère…

Elle se précipita alors vers Dakota, l’attrapant par les épaules.

Elle existe !!

Elle baissa la tête pour pleurer, et c’est alors que son regard rencontra un bris de verre.

NOOOOOOOOOOOOON !!!!!

Elle se mit les mains devant le visage, tentant vainement d’éviter la transformation. Elle était désormais Scylla, la mocheté incarnée. A cette idée, elle dégagea rapidement ses mains du monstre, par dégoût et par peur qu’elles ne soient infectées par sa mocheté.

C’était effrayant. De toutes les transformations qu’elle avait connues, c’était de loin la plus terrifiante car elle n’avait pas fait jusqu’ici le rapprochement avec Scylla.

Puis, elle leva les yeux vers Dakota… Elle pu enfin voir à quoi elle ressemblait lors de ses transformations : à Scylla.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!!!!! AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Elle courut dans toute la pièce, empoignant des couverts et les lançant à Scylla, ne s'arrêtant pas pour autant dans son long hurlement strident. Tirant à l’aveuglette, elle n’était même pas sûre de la toucher. Puis au bout d’un moment, le souffle coupé, les yeux débordants de larmes, elle s’arrêta. L’instinct de survie était dissipé, la panique s’était alors emparée d’elle. Elle se colla contre un mur pour tenter de retrouver un rythme respiratoire normal qu’elle ne parvint pas à atteindre.

Elle attrapa un couteau qu’elle plaça contre sa poitrine, puis qu’elle tendit en direction de la déesse de la mocheté.

Jamais elle n’avait vu une chose aussi moche, pas même dans ses rêves. C’eut toujours une image floue : elle se faisait pourchasser par Scylla mais n’osait pas se retourner. Elle savait juste qu’elle incarnait tout ce qu’il y avait de plus moche dans ce monde, ce qu’elle pensait ne jamais rencontrer pour de vrai, et cette idée seule la terrorisait.
Elle hurla à l'attention du démon :

Ne m’approche pas !!! Ne m’approche surtout pas saloperie !!

Lily...morte...pas le premier cadavre... Bateau d'esclavagistes...Pire...Un homme...il ne faut pas s'approcher... Quel homme? Qui est Lily? Que voulait elle dire par morte? On peut mourir ici? Bateau d'esclavagistes?? L'enfer????

Janna n'en croyait pas ses oreilles. Pourquoi l'avait on envoyé en enfer pour curer son mal??? quel était le but de cette séance d'hypnose finalement? On ne lui avait pas très bien expliqué... Ou alors elle ne s'en souvenait... Plus...?

Le bien être qu'elle avait éprouvé au début s'était complètement dissipé pour laisser place à une terreur maligne qui lui glaçait le sang. Elle ne quittait pas des yeux l'adolescente qui d'une manière théâtrale lui avait saisi la main pour lui supplier de l'aider... La protéger. Janna aurait voulu détourner le regard, rejeter cette main de la sienne, tourner les talons et prendre ses jambes à son cou. L'ambiance était si lourde...si terrifiante. Si elle avait bien compris... on pouvait mourir...

En fin de compte c'était surtout l'idée qu'on puisse mourir qui avait terrorisé Janna. Elle se croyait jusque là comme dans un rêve. Intouchable, invulnérable. Un rêve où on pouvait faire ce qui nous plaisait sans jamais se faire mal. Un rêve qui...
Minute... Peut être cela faisait il parti du rêve? De son rêve... Devait elle prendre tout cela au sérieux? Tout cela n'était il pas une mise en scène organisée et agencée par son esprit? Le coquin... Elle s'était presque laissée prendre au jeu ! Elle s'était presque fait avoir! Elle aurait du se rendre compte que quelque chose sonnait faux dans ce monologue. Mais oui bien sûr comment avait elle pu croire une seconde à tout ce charabia! De toute façon si elle mourait elle se réveillerai instantanément... Il ne fallait pas avoir peur de mourir... Cette peur était RI-DI-CU-LE.

Mais le doute la rongeait cependant. Tout cela semblait si... Réel... Et ces douleurs aussi... Normalement quand on éprouve une douleur on se réveille. Non? Peut être pas... Comment savoir. Et puis ce n'est pas vraiment un sommeil naturel...

Janna aurait voulu se réveiller. Partir de cet endroit vraiment pas drôle. Ce n'était pas un rêve, c'était un cauchemar. Cela ne l'amusait plus...

Soudain La petite fille prit les devant pour remettre tout le monde en place. Coupant court aux pensées torturées de Janna et aux supplications de, maintenant elle pouvait mettre un prénom sur ce visage, Jade. Cette petite avait une lucidité incroyable. Elle aurait pu envoyer se rhabiller Roméo et Juliette de leur amour puéril en une seule tirade!

Récapitulons, Les trois jeunes filles se nommaient, Jade, Shannon, et Dakota.
Respectivement, Jade la tourmentée, Shannon la poupée et Dakota la perspicace... Elles se trouvaient donc à Dreamland, et elles étaient toutes des patientes en séance d'hypnose... Ce qui attira particulièrement l'attention de Janna fut le passage sur les pouvoirs.

*Alors comme ça notre maladie est une force à dreamland? On s'y croirait presque !*

Moui...Il faut le dire... son cerveau était en forme aujourd'hui! D'habitude elle n'avait pas une imagination aussi débordante. Elle voulut poser une question mais n'en eut pas le temps.

Elle fut coupée par la poupée qui apparemment avait perdu son sang froid face au discours de Dakota. Tout le monde était nerveux ici... Sauf peut être Dakota... Mais encore... on sentait que quelque chose n'allait pas dans ce trio. Outre le fait que Janna était persuadé de la non existence des gens qui se trouvaient en face d'elle et de la non réalité de la scène elle fut tout de même complètement prise par l'histoire. Qu'avaient vécu ces filles pour être aussi... Brisées ? Elle aurait presque éprouvé une compassion profonde si un cri effroyable ne l'avait pas ramenée à la réalité aussitôt.

Elle émergea de sa courte rêverie, et ce qu'elle vit... Elle ne l'oublierai jamais. Deux êtres ignobles, des êtres? Peut être pas, des choses... abjectes, ignobles, inhumaine et humaine à la fois. Elle ne pu s'empêcher de détourner les yeux. Elle fixai à présent ses genoux sans le vouloir, toujours accroupie à côté de Jade. Elle manqua de défaillir mais avant que cela ne puisse se produire elle reçu une fourchette en pleine figure ! Sans se demander pourquoi, rassemblant toutes ses forces, elle se leva sur ses jambes tremblantes. Elle attrapa le bras de Jade et la tira contre elle.

"Fichons le camp !!!!"

Shannon continuait de pleurer. Elle gémissait et entrecoupait ces sons indescriptibles de longues respirations bruyantes. Elle avait l’impression de mourir à chaque seconde qui passait. Heureusement, Dakota prit la parole pour la rassurer. Elle ne savait pas si du coup, elle aussi était toujours laide, mais elle le sentait intérieurement. Elle avait vu ce à quoi elle ressemblait approximativement lorsqu’elle se transformait et ça la répugnait. Elle éprouvait même l’envie de se suicider.

Elle écouta d’une oreille distraite les justifications (qu’elles auraient trouvées lamentables) de Dakota. Elle en avait au moins compris l’essentiel : c’était « normal ». Elle posa le couteau comme le lui avait ordonné la fillette et fut immédiatement plaquée contre le mur d’une telle violence qu’elle ne pu retenir un petit cri à nouveau, tout à fait innocent comparé à ceux qu’elle avait enchainés avec tant de puissance et d’application. Elle avait envie de se retourner pour voir s’il était au moins mignon, malgré un gros doute quant à cette hypothèse, mais elle avait du mal et lorsque son regard parvenait à saisir le sien dans un torticolis qui lui faisait serrer les dents, il tournait le visage. Ah oui, elle était moche…

Heureusement pour la jeune femme, il s’était montré plus tendre envers elle qu’envers sa comparse de crinière blonde. En effet, la sienne semblait avoir souffert des soins que lui avait accordés le rustre garde. Shannon, elle, s’en tirait plutôt bien en fin de compte. Elle n’aurait jamais pu supporter qu’on lui arrache une mèche de ses beaux cheveux. Ici, on lui avait déjà tout fait : on avait souillé son égo, on avait cramé sa jupe… En fait, c’était tout mais déjà bien assez.

Aussitôt qu’il la lâcha, elle se laissa tomber au sol comme… une merde. Elle continuait à couiner sans se soucier de ses camarades. L’idée de s’excuser ne lui traversa pas à un seul instant l’esprit. Pourquoi après tout ? Elle n’avait pas agi consciemment. Elle était mise face à phobie et n’avait pas foutu volontairement le bordel. De toute façon, elle devait réparer sa connerie elle aussi, elle était punie et les excuses étaient faites à son détriment. De toute façon, n’importe qui dans sa situation aurait réagi de la sorte. Elle ne pouvait pas être lucide et entreprendre un dialogue cordial avec Scylla… On lui avait déjà fourni tout ce qui fallait à l’extérieur, elle ne pouvait pas en plus être top à l’intérieur. La nature lui avait déjà assez donné. Est-il nécessaire de préciser que cette pensée était ironique ? Oui, probablement. Elle préférait penser à quelque chose de marrant désormais, pour oublier cette horrible vision…
De toute façon, Shannon s’y connaissait en autodérision, mais seulement dans sa tête, qu’on pourrait juger vide de tout neurone.
Elle ne le montrait pas mais ce genre de pensée la blessait. Elle avait certes un look discutable mais elle se complaisait dans la mode. D’une certaine façon, c’était comme dire que les gothiques mangeaient des rats. Elle le pensait évidemment… pour rire, et des fois parce qu’elle les exécrait. De toute façon, on ne lui avait jamais fait confiance. C’était peut-être pourquoi elle avait foiré tout ce qu’elle avait entrepris… Bien qu’elle nie avoir une quelconque part de responsabilité dans son échec, elle le savait pertinemment. Mais, pour jouer dans le mélodramatique, sur qui avait-elle pu compter dans la vie à part elle-même, et surtout son physique qui l’aidait bien plus que quand elle tentait de réfléchir. Tout le monde pensait qu’elle n’était qu’une sorte de blague. Tout cela lui donnait envie de pleurer. Elle voulait changer mais ne savait pas comment, alors elle continuait à s’enliser.

Mais voilà que la grosse tête la ramenait encore, l’interrompant dans une potentielle remise en cause. Pour le coup, elle avait bien envie de l’étriper de son plein gré… Elle renifla d’une façon très peu élégante, tentant de ravaler ses larmes (et sa morve) et dit, la mâchoire crispée et le visage déformée en l’expression de quelqu’un qui pleure, donc pas forcément de façon glamour :

Oui, je suis fière de moi et surtout de toi. T’avais qu’à pas copier mon pouvoir, t’as aussi ta part de responsabilité. Donc dans un sens… tout ça c’est à cause de toi ! Ah bah merci !

De toute façon, que fallait-il ramasser ? Elle n’avait lancé que des couverts, et non pas d’assiettes. Heureusement pour elle, car elle n’aurait pas aimé nettoyer ça, mais heureusement surtout pour ses comparses, qui auraient pu en recevoir une sur la tête… Le projectile étant plus large, elle aurait assurément pu faire des dégâts…

Oh et puis de quoi elles se plaignaient ? Elles se seraient tourné les pouces toute la nuit ! Et elles auraient bientôt de la main d’œuvre, à moins que les trois autres ne s’attardent dans la cabine du capitaine. Mais pourquoi cherchait-elle à trouver des avantages à leur situation ? Elle n’y était pour rien et l’avait bien fait comprendre ! Elle oublia totalement ce à quoi elle songeait avant que l’autre ne la ramène, et reprit son expression de tête-à-claques : le regard arrogant (malgré ses yeux baissés), les narines serrées, les lèvres pincées… Elle passa une mèche derrière ses cheveux et se regarda les ongles, histoire d’enfoncer le couteau dans la plaie. Après tout, c’est ce qu’elles cherchaient toutes, non ? Quelqu’un à blâmer. Elles semblaient avoir trouvé ce quelqu’un en la personne de la jolie blonde superficielle et complètement vide de toute réflexion et tout sentiment. Elle n’était qu’une blague.