Elena n’avait pas encore répondu à l’adolescente, et elle n’en eut pas le temps car voilà que Liam répliquait avec aigreur à ses propositions somme toute parfaitement logiques. Ils n’avaient pas rencontré assez de gens étranges, ni de situations rocambolesques, pour savoir que tout était encore possible dans ce monde ?! Qui sait de quelles manières ce vieillard pourrait rencontrer quelqu’un ?! Et puis, le taulard devait perdre la notion des espaces depuis le temps que le soleil tapait sur son crâne dérangé, car si ils s’étaient trouvés à une considérable distance de la métropole, Selene aurait juré qu’ils n’étaient tout de même pas à plus de 8/10km. Ça ne changeait pas grand-chose en soi, mais le penser aidait la jeune fille à supporter le ton supérieur du doyen de leur équipe. Après tout, elle n’aurait jamais osé le dire à haute voix, ni s’opposer à lui d’aucune manière, et elle se contenta une nouvelle fois de ne rien dire en fixant avec un sourire triste le visage meurtri d’Elena.

Quand Jonh demanda au criminel son couteau pour se couper une pastèque, les yeux ronds de la toquée ne savaient se défaire de celui qu’elle avait vu au départ comme son ami. Il avait déjà si vite oublié ? Lui qui l'avait défendu, qui avait essayé de la consoler… le trentenaire l’avait elle rabaissé, violé, insulté, humilié… et lui, tout ce qu’il trouvait à faire, c’était lui demander son arme pour s’ouvrir un fruit ? La même lame qui avait égorgé froidement une innocente ? La partager comme une bande d’amis en pèlerinage rustique ? C’était tout simple inconcevable, et l’immense déception qui envahit le cœur de la galloise effaça toute trace d’affection à l’égard du dépressif. Quand Myia eut intercepté sa part, Selene désigna Jonh du menton avec une moue dédaigneuse qui ne lui ressemblait pas.

- Tu devrais la lui donner… il a l’air de bien s’entendre avec Liam, il devrait bien aimé le sang.

Par chance, le taulard qui était trop occupé à apercevoir une ville à l’horizon n’entendit pas sa réplique, ni ne vit son regard froid qu’on aurait juré appartenir à quelqu’un d’autre. Mais la souffrance et l’abandon qu’elle ressentait finir par l’emporter, et après s’être détournée pudiquement pour ne pas que quiconque ne voit son visage, des larmes douloureuses se mirent à rouler sur ses joues transpirantes. Elle aurait voulu crier, pleurer bruyamment, se rouler par terre jusqu’à se sentir vider de toute forme d’énergie même… mais rien de tout cela n’était envisageable. Elle était là, cernée par des inconnus dans une situation tellement lamentable qu’elle lui paressait purement irréelle. Où étaient les rues de San Francisco ? Ses cours et ses contrôles, sa vie d’adolescente lambda plutôt timide, ses sorties entre filles, les sermons de sa tante quant à son obsession… ? Tout cela lui manquait tellement…

Elle renifla et s’essuya les joues, avant de regarder furtivement si quelqu’un l’avait vu pendant son instant d’abandon. Elle ne décelait aucun curieux, mais une boite nouvellement ouverte révélait un lot de grosses poires oranges qui l’attirèrent au point qu’elle en saisit un exemplaire. Elle se souvenait qu’au réfectoire, ou même chez elle, elle s’amusait à tailler des visages d’épouvantails dans ses pommes avec son couteau avant de la manger entièrement. Ici, elle n’avait ni pommes, ni couteau, mais cette petite occupation l’aiderait à passer le temps et à se calmer ; ses larmes menaçaient toujours de jaillir à tout moment. Elle n’avait pas pensé une seconde à soigner Jeremiah, et ne songeait toujours pas à le faire malgré les remontrances sarcastiques de Liam. A 15 ans, elle n’avait aucune formation d’infirmière ou de secouriste, et de toute façon, elle ne se sentait pas en état de jouer l’héroïne valeureuse. Elle ne l’était pas de toute manière, c’était un fait.

Commençant par mordre dans son fruit, elle fut surprise par son goût qui, bien que tout à fait semblable à celui des poires du monde réel, avait un quelque chose de pétillant, comme si son jus était en fait une boisson gazeuse. Sans se laisser distraire plus que de raison, Selene dégrossissait la silhouette de sa sculpture à coup de dents, puis se mit à peaufiner les détails avec ses ongles. Ceux-ci étaient d’ailleurs sales, et trop courts pour être franchement efficaces, mais elle n’avait de toute manière pas l’intention de manger sa figurine une fois finie… elle voulait un souvenir, un soutien morale… après de longs moments d’efforts silencieux et plusieurs tâches sur sa jupes blanches, elle avait tant bien que mal taillé autour du fin trognon une silhouette qui lui était familière, et elle la posa sur ses genoux pour la regarder d’un œil triste. En se retournant, elle vit que Myia la regardait avec des yeux ronds de curiosité, et après s’être négligemment essuyer les mains sur le tissu blanc qui l’habillait, elle tendit sa sculpture à la borderline avec un sourire amical, pour lui montrer de quoi il s’agissait.

En relevant les yeux, elle s’aperçut que les contours du village se faisaient plus précis, et permettaient de discerner qu’il était bâti sur le même modèle greco-romain que Sextus. Aux alentours, on pouvait voir se détacher des versants en friche de grands champs exploités par plusieurs silhouettes pour l’instant encore réduites à de petits points indistincts.
La galloise se demandait comment ils allaient être accueillis. La charrette était-elle déjà passée par là ? Est-ce qu’on allait les aider ou les emprisonner ? Avaient-ils la même mentalité qu’à la grande métropole du sexe ?!
Tant de question angoissante, dont les réponses n’étaient autre part que sur place.

A la réplique de Liam face au monologue de Sélène. Jonh ne put s'empêcher d'avoir un petit sourire. Même quand la situation était mauvaise , le taulard restait toujours le même. Autant dire que pour le dépressif ça faisait plaisir à voir quelqu'un qui n'avait pas changé depuis la tour. Ce qui n'était pas le cas de tout le monde ici présent. Lys s'était enterré dans un mutisme comme Ella. Sélène quant à elle était devenue une autre adolescente, ou peut être que la mésaventure avait ouvert une part de la rouquine. Jonh fut tiré dans ses pensées quand Liam répondit à sa demande par du négatif m"langé à du positif. Il refusait de lui prêter son couteau mais voulait bien lui couper une part. Cela dit le fait qu'il énonce le sang de la femme et autre personnage ne dérangeait nullement le jeune homme. Après tout il ne les connaissaient pas et même eux le feraient alors.

Il s'empara de la part de pastèque et haussa un sourcil surpris lorsque Liam lui tendit une paire de chaussure avec.

- Ah euh merci

Dit il avec un sourire qui en était bien un cette fois ci. Elle ressemblait à celle de Sélène mais semblait plus grande. Jonh les chaussa dans ses pieds et constata avec soulagement qu'elle n'était pas trop petite. Juste mais ses talons ne dépassaient pas. Le jeune homme mordit ensuite dans le melon d'eau. A vrai dire on ne sentait pas vraiment le sang étant donné que ce dernier avait eu le temps de séché. Néanmoins ce qui lui plut moins fut les paroles de la rouquine. En plus d'être devenue chiante et adopté le profil d'une victime qu'elle n'était que de Liam.
Jonh en avait assez d'essayer de la faire reprendre confiance en lui alors que ce n'était même pas lui qui avait commencé dans la Tour. Si mademoiselle avait su se retenir les deux voyageurs n'auraient pas couché ensemble mais au lieu de ça l'adolescente l'avait chauffé comme une garce ! Et après elle s'étonne du résultat...

- Et alors ca te pose un problème ? Oui j'aime bien Liam malgré ce qu'il fait et si t'es pas contente tu peux très bien descendre

De quel droit le jugeait il de toute façon ? Personne ne savait le pourquoi du comment du comportement du taulard mise à part lui-même et le concerné. Comme tout les autres Jonh avait eu une vision fermé du violeur mais depuis qu'il connaissait l'histoire elle s'était ouverte. Même les pleurs de Sélène , à en deviner ses reniflements malgré qu'elle avait la tête tourner, ne le ferait pas changer d'avis sur la chose.

Lorsque Jonh de manger une ville au loin , enfin ça y ressemblait, commencer à se dessiner devant la troupe. Il ne savait pas si il devait s'en réjouir ou bien s'inquiéter en prévoyance du comportement de ses habitants. Même si le nuage du dépressif n'avait pas pointé le bout de son nez depuis la Tour. Quant à soigner le nouveau...Jonh n'avait pas de diplôme de médecin mais bon...il pouvait faire la base en attendant et vu la blessure qu'il avait , c'était pas en tombant...
Le jeune homme ouvrir alors les caisses encore fermé pour trouver de l'eau avant de voir qu'il y avait une gourde posé à côté de l'endroit où était assis Liam. Le dépressif s'en empara et arracha un pan de sa chemise, pas de la top qualité en plus d'être moche et imbiba la plaie du gars anonyme d'eau avant de faire le tour de l'épaule avec le tissu mouillé par la même eau et fit un nœud en serrant bien fort. Bon c'était pas comme ça ça allait lui sauver la vie mais c'était mieux que de laisser ça à l'air libre pas vrai ?

Ceci fait, Jonh alla se rasseoir à sa place.

[ hj : je suis pas une pro du secourisme, je sait juste qu'il faut faire des carots quand on fait une hémorragie lxD)

Les évènements s’enchaînèrent si vite qu’Elena n’eut même pas le temps de recevoir une réponse de la part de l’homme auquel elle s’était adressée. Tout d’abord, après une chute des plus comiques, certainement sous l’effet de la surprise de voir l’adolescente au corps d’épouvantail, une jeune femme brune au teint pâlot s’approcha, chancelante, des archers effarés, tout en les priant d’arrêter de tirer. Elle inventa par la suite une histoire des plus étranges pour les convaincre de se tenir tranquilles. Profitant de leur distraction, le trentenaire aux allures de taulard parvint discrètement à se placer derrière eux, tout en tenant la gamine rousse dans ses bras. Au même moment, Elena fut surprise de voir l’homme qui faisait partie de son groupe d’esclaves surgir de nulle part et se précipiter sur l’un des archers pour lui planter un couteau dans la nuque, ce qui lui donna la mort tout en laissant jaillir une vague de sang. Quelques instants plus tard, il s’écroula lui-même, évanoui sur le cadavre, tandis que Liam accourait pour assommer le deuxième archer puis se tourner vers le marchand après avoir brisé de son pied les deux arcs. Il commença alors à lui parler, s’arrêtant un instant pour achever l’archer qui aurait pu encore prétendre à la vie. Toute cette manœuvre qui ne fut pas effectuée sans une violence démesurée servit aux moins à quelque chose. Le vieil homme était si terrorisé qu’il ne pensa pas une seconde à résister alors que l’on lui ôtait ses habits. Il ne tarda d’ailleurs pas à abandonner ses marchandises, prenant ses jambes à son cou comme il ne l’avait sûrement jamais fait de sa vie.

Elena tourna alors le regard, n’ayant plus la moindre envie d’assister à cette scène. Elle avait déjà assisté à des spectacles sanglants, ayant elle-même du disséquer des cadavres depuis sa seconde année en fac de médecine, mais là, ça faisait un peu beaucoup. Tout cela semblait tellement irréel qu’elle se serait presque crue dans le tournage d’un film. Etait-ce en cela que consistait cette fameuse thérapie du docteur Parkinson ? Hypnotiser ses patients pour les mener dans un monde où l’on se retrouvait dans des situations inimaginables à chaque pas que l’on faisait ? Les laisser souffrir de douleurs physiques insupportables, les abandonner à la faim et à la fatigue alors que cet univers n’était au final qu’une sorte de rêve ? Enfin, rêve n’est certainement pas le mot juste, tout cela ne pouvait être comparé qu’à un cauchemar hors pair, au pire des supplices. La jeune femme regarda un instant les inconnus qui l’entouraient. Etaient-ils eux aussi des patients victimes de ce célèbre psychologue ? Ce dernier devait être lui-même fou à lier et d’un sadisme sans égal pour faire subir un tel traitement aux personnes qui venaient à le consulter.

Mais à quoi bon se tourmenter l’esprit avec toutes ces interrogations ? Quelles que soient les motivations du docteur psychopathe, Elena était enfermée dans ce monde dont elle ignorait comment s’échapper. Se sentant totalement désemparée, elle décida néanmoins de monter dans la charrette avec le groupe de personnes qu’elle avait rejoint afin de pouvoir manger les délices qui s’y trouvaient. Elle n’était certes pas une grande mangeuse, la nourriture était loin de faire partie des choses qu’elle pensait les plus importantes dans une vie mais à cet instant là, une faim des plus intenses transperçait son estomac de toutes parts et elle n’avait plus qu’une seule idée en tête : se nourrir.

Alors que ses dents se plantaient sans attendre dans la chair d’une pomme d’un rouge sang, la douleur des os craqués de sa mâchoire la fit grimacer, ce qui attira l’attention de l’adolescente qu’on avait sauvé des archers. Contrairement à ce que celle-ci croyait, il en fallait plus que ça pour briser une mâchoire et même si la sienne n’était pas dans le meilleur des états, cela aurait pu être bien plus grave, là elle n’était que quelque peu déboitée. La jeune femme savait comment faire pour la remettre en place mais elle savait aussi que cela impliquait une douleur assez intense pour qu’à l’hôpital, on anesthésie les patients lors de la manœuvre. Mais était-ce pire que la douleur que subissait déjà son corps tout entier ?
Sortant de sa réflexion, elle voulut répondre à l’adolescente mais n’eut pas le temps de prononcer un seul mot que l’homme à l’origine de son malheur prit la parole, non sans sarcasmes.
Pendant ce temps, Elena reposa la pomme qu’elle avait tant de mal à manger. Puis, d’un geste décidé, elle mit ses deux mains autour de sa mâchoire pour la « remboîter » d’un geste sec et rapide. La douleur était attendue mais ça n’empêcha pas la jeune femme de se planter les ongles dans l’un de ses bras déjà bien meurtris pour la compenser et éviter de pousser un cri. Malgré la souffrance que cela impliquait, elle essaya alors de serrer les dents, pour être sûre que ses os s’étaient remis en place. Une fois l’efficacité de son geste confirmée, elle reprit la pomme pour croquer dedans, savourant le goût sucré qui envahissait sa bouche, ce qui ne l’empêcha toutefois pas d’entendre les dernières paroles de Liam. Elena leva alors les yeux vers lui et lâcha, d’une voix plus froide que jamais :

-Bien entendu, vous ne faites pas partie de ceux qui laissent cet homme pour mort, son corps étendu au milieu de la charrette. Ah mais oui, suis-je bête, vous devriez être favorisé par rapport aux autres étant donné votre intelligence si subtile qui vous a mené à massacrer un inconnu et à laisser un homme nu, seul face à son destin au beau milieu d’un endroit des plus désertiques. Personnellement je doute que des remarques venant de vous et concernant le comportement d’autrui soient des plus utiles mais bon, ce n’est que mon avis. Ma foi, comme on dit, tout est relatif.

En dépit de la faim qu’elle n’avait pas encore pu calmer, la jeune femme se leva pour se diriger vers Jeremiah que l’un des hommes tentait déjà de secourir. Il avait adopté un bon geste, certes, mais c’était loin d’être suffisant.
Il était certain qu’étant en sixième année de médecine, Elena était très loin de n’avoir que de vagues notions dans ce domaine.

Après avoir enlevé le tissu entourant la plaie du blessé pour l’observer un instant, la jeune femme se releva de nouveau pour aller chercher un citron parmi les fruits qui se trouvaient dans la charrette puis retourner rapidement auprès de Jeremiah. Jetant un regard plein de dégoût sur le couteau ensanglanté de Liam, elle préféra planter ses dents dans le citron, juste histoire de pouvoir en presser quelques gouttes de son jus qu’elle versa sur la blessure, tout autour du morceau de flèche qui y était toujours planté. Heureusement que l’homme était inconscient, il n’aurait peut être pas supporté la douleur de l’acide sur sa plaie dans le cas contraire. Quoi qu’il en soit, Elena savait que le jus de citron avait des propriétés désinfectantes et même si aucun médecin n’aurait conseillé de l’utiliser en tant qu’antiseptique, avec les moyens du bord, c’était la seule solution pour que la blessure ne s’infecte pas car si l’on ne faisait rien, il y avait de grandes chances que cela arrive avant qu’ils n’aient eu le temps d’atteindre une ville. De plus, le citron permit de diminuer l’hémorragie. La jeune femme enroula alors à nouveau le bout de tissu autour du bras de Jeremiah. Elle aurait voulu pouvoir ôter le bout de flèche mais cela aurait été suivi d'une hémorragie encore plus forte qui aurait pu entraîner la mort du blessé, accompagnée d'une douleur des plus atroces. Après avoir fait un nœud, elle ôta l’un des morceaux d’habit qu’elle avait arraché de sa tenue auparavant pour faire office de bandage à ses propres blessures, l’humidifia grâce à l’eau de la gourde qui se trouvait par terre et le plaça sur le front de l’homme.
Puis elle retourna s’asseoir sans un mot près de l’adolescente qui s’était adressée à elle tout à l’heure, en reprenant sa pomme qu’elle s’empressa de finir.

Elena jeta un coup d’œil à la jeune fille. Celle-ci semblait totalement impuissante face à tout se qui se passait autour d’elle, sa timidité ne l’aidant pas. Et puis… personne ici ne semblait réellement se soucier de ce qu’elle pouvait ressentir et personne ne se gênait non plus pour la mettre face à des épreuves auxquelles elle ne méritait pas être confrontée, surtout à son âge.

-Comment t’es tu retrouvée ici ? demanda la jeune femme à l’adolescente en s’efforçant de le faire d’une voix moins froide qu’elle n’en avait l’habitude.

La gamine n’entendit que d’une oreille l’échange entre John et ce Liam. Le premier incarnait la traitrise à en juger le regard déçu et plein de rancune de Selene. Après une pirouette, Liam se décida à partager la pastèque avec l’ensemble des voyageurs. C’était sans compter le fait que le couteau était encore imbibé du sang frais de ses victimes. Sans hésitations, John dévora sa tranche de fruit « infectée ». Quasi’ lui envoya la sienne après l’avoir vue s’acharner sur la carapace du fruit. Ses petites mains l’attrapèrent sans difficultés alors qu’une goutte de sang s’était gentiment déposée sur son avant-bras. Il était tout simplement hors de question qu’elle mange ce fruit répugnant.

La remarque du monstre aux traits humains la fit siller. Alors comme ça, ils n’aidaient pas Jeremiah ? Elle se souvenait vaguement de l’aventure qu’ils avaient vécue ensemble, avec Lalia. Myia se souvint qu’après avoir tenté la séduction, cette dernière était entrée en guerre ouverte avec lui. C’est vrai que derrière ses airs enjôleurs, il mettait la jeune femme sur la défensive. Mais ce n’était surement pas dans cet état de sommeil profond qu’il mettrait sa vie en danger. En plus de cela, elle semblait être la seule à le connaitre ici. Ce fut la victime de Liam la plus efficace. Après s’être remis la mâchoire en place, Elena arrangea le travail précaire de John et désinfecta la plaie. Myia n’aurait jamais pensé une seule seconde à se servir d’aliments pour guérir quoi que ce soit. C’était plutôt ingénieux de sa part. Peut-être qu’elle serait comme Yoru, un futur médecin ? A ce propos, le jeune homme n’avait pas bougé en voyant Jeremiah. Pourtant, il l’avait aidée elle, lorsqu’elle s’était blessée sur l’Asmodée.
Après qu’elle soit retournée à sa place, Myia nettoya du mieux qu’elle pouvait la tranche de pastèque et la déposa aux côtés du Jeremiah qui semblait peu à peu revenir à ses esprits. Prise de panique, elle s’empressa de revenir à sa place après lui avoir chuchoté un bref conseil et adressa un sourire timide à Elena.

- Tiens, Jer’, mange…

L’intérêt étrange que lui portait Liam était pour le coup bien ironique. Et elle attendait le face à face prochain entre les deux jeunes gens.
Pour le moment, ce fut la démonstration artistique de Si-Si qui accapara son attention. La jeune fille remarqua son intérêt soudain alors que Myia s’efforçait de rester en place en se rappelant la citation bien célèbre : « On touche avec les yeux ». Après avoir cédé en lui tendant l’épouvant-fruit.

- Tu es douée Si-Si !

Elle n’eut pas l’occasion de s’étendre plus en bavardage, tous avaient maintenant remarqué qu’ils approchaient d’une ville. Celle-ci sortait de nulle-part, et avaient des allures de mini-Sextus. Il s’agissait peut-être d’une zone qui servait à l’alimentation de Sextus. C’était amusant de voir cette parodie romaine où les colonnes délimitaient des champs, à perte de vue. Le silence s’installa dans la charrette alors que des ombres apparaissaient déjà dans ces champs immenses. L’impatience l’envahit soudainement, et ce petit bouleversement lui fit oublier sa peur et ses doutes. En un rien de temps, elle retrouva son apparence adulte : ses cheveux s’allongèrent et prirent une teinte plus foncée, ses membres grossirent tandis qu’elle retrouvait ses formes et remplissait plus facilement ses vêtements.
Elle soupira de soulagement. Myia se sentait plus forte avec cette apparence. Selene avait l’air surprise. Mais ne serait-elle pas plus utile comme ça ? Elle lui offrit donc un large sourire.

La charrette semblait ralentir alors que l’envie de descendre se faisait de plus en plus pressante. C’était Liam qui la dirigeait. A défaut de vouloir lui adresser la parole, elle lui adressa un regard noir, réponse à son sourire maléfique qu’il lui avait adressé quelques instants plus tôt.
Finalement, ils arrivèrent à hauteur du grand portique qui marquait l’entrée de la ville. Sur le fronton, des lettres grecques étaient apparues, mais restaient incompréhensibles pour la jeune femme. C’était surement le nom de la ville.
Après s’être immobilisée on-ne-sait-où dans la ville, Myia se rua à l’extérieur de la charrette et sautilla sur place pour se dégourdir les jambes. Certains habitants vaquaient à leurs occupations tandis que d’autres les observaient du coin de l’œil. Qu’importe, ils pourraient trouver un meilleur moyen de transport que cette fichue charrette.

Voir Jonh rabaisser Selene était si jouissif que le sourire du taulard s’était agrandi. Non seulement pour une fois quelqu’un l’appréciait ce qui tenait du miracle, mais en plus il commençait à mal tourner. La répugnance que le jeune homme avait ressentit pour lui à la base semblait peu à peu se changer en compréhension, voir en respect. Il n’avait donc pas eu tord en pensant qu’on pourrait faire quelque chose de ce petit… qui lui au moins se bougeait les miches pour leur « belle aux bois dormants ». C’était du rafistolage tout comme il aurait pu le faire mais c’était mieux que rien. Les choses auraient pu donc bien aller si cette idiote de fille à la gomme n’avait pas remit sa mâchoire en place pour l’ouvrir et débiter des conneries.

Elle lui faisait la morale, le prenait de haut avec son horripilant air hautain alors qu’elle était totalement à côté de la plaque. Soit elle manquait de sens de l’observation soit elle était stupide, à moins que ce ne soit les deux. Comment voulait-elle que Liam soigne Jeremiah alors qu’il tenait les rênes ? Elle pouvait toujours attendre que des bras poussent dans le dos du taulard mais d’ici là elle n’avait plus qu’à cultiver un cerveau entre ses deux oreilles. Les mains du tueur se crispait sur les lanières de cuir alors que la colère montait en lui, bouillonnante et dévastatrice.

Les cons devraient vraiment apprendre à la fermer, et puis ces histoires de morale réchauffée… des conneries bonnes pour la benne à ordure.

- Bon écoutes la greluche… commença Liam d’une voix dangereusement calme, ce mec est dans la charrette parce que je suis le seul à avoir eu la présence d’esprit de lui venir en aide alors que les p’tits cons comme toi n’y avaient même pas pensé. Sans parler du fait qu’avec les mains prises je ne pouvais rien faire de plus que de vous pousser à remuer vos culs pour faire quelque chose mais ça n’a pas effleuré ton esprit. T’es sûr de pas être blonde ?

Le trentenaire jeta un regard condescendant à la brune avant de se retourner pour regarder la route, la ville s’approchant de plus en plus. Ne pas regarder la jeune femme ne l’empêcha pas malgré tout de continuer ses piques avec sa franchise habituelle.

- T'aimes pas ma façon de faire mais ça t'empêches pas de t'empiffrer et de reposer tes cannes de serin à l'arrière. Si ça te plait pas arrêtes de faire l'hypocrite, descends de là et vomis.

Bien sûr elle ne fit rien et un ricanement s’échappa des lèvres du taulard, profondément méprisant. Elle était comme tous les autres, à déballer sa morale et ses principes mais elle ne se gênait pas pour vivre sur les erreurs des autres. Elena faisait sûrement partie des gens qui baissaient les yeux dans le métro lorsque quelqu’un se faisait agresser en espérant juste que le voyou ne s’en prendrait pas à elle à la place. Une grande gueule et aucune couille.

D’ailleurs elle s’amusait à jouer à docteur Quinn femme médecin, probablement pour se forger une image de super héroïne à la Mc Gyver qui sauvait les gens avec un citron à défaut de pouvoir faire une bombe avec un chewing-gum et un bout de ficelle. Pitoyable, lamentable, d’autant plus ridicule qu’elle en était fière… en quelques mots une pauvre fille. Ca ne lui donnait que plus envie d’écraser sa face de rat dans la boue jusqu’à ce qu’elle gémisse. Il se nota d’ailleurs mentalement de prévoir ça pour les jours qui suivaient.

- Bah alors tu descends pas ? Comme c’est bizarre… que d’la gueule et pas le courage d’assumer tes opinions. T’as plus qu’à la fermer, c’est ballot… ou discuter chiffon avec Selene. Entre dindes vous devriez vous entendre.

Il détourna son attention de la donzelle pour se concentrer sur la conduite, l’âne ayant tendance à n’en faire qu’à sa tête lorsqu’il se lançait dans des tirades agressives. Il passa le reste du chemin jusqu’à la ville dans le silence, passa les portes sans se soucier du nom de ce patelin gréco-romain. Il ne remarqua même pas que Myia reprenait sa forme adulte tant il était occupé à scruter les passant qui les fixaient avec méfiance. Liam n’avait qu’une envie, se tirer, mais il fallait se rendre à l’évidence : ils avaient plus que besoin d’une pause et d’un bon lit il finit donc par s’arrêter au milieu d’une rue quelconque tant les gens s‘amassaient, opportunité que saisit la borderline pour sauter de la charrette.

Un homme s’approchait déjà d’eux, ventre rond enveloppé d’une toge blanche et visage digne. Probablement quelqu’un d’important, mais tout ce que savait Liam c’était qu’il n’aimait pas qu’on les arrête en pleine rue pour venir leur parler, ça sentait fichtrement aussi mauvais que le vide sanitaire d’Asmodée.

- Et les ennuis commencent… murmura le taulard en prenant Ella dans ses bras par pure précaution.

En confiant son œuvre d’art à Myia, Selene remarquait alors que Jeremiah avait été précairement soigné, sans doute pendant sa crise de larme, et qu’il commençait à remuer. Pour être franche, cet homme qui avait poignardé l’un des gardes de sang froid à peine arrivé sur les lieux ne lui inspirait aucune confiance, mais apparemment, la borderline devait le connaitre et l’apprécier puisqu’elle lui avait manifestement offert sa part de pastèque. Alors qu’elle félicitait la toquée sur sa sculpture sur poire, Elena avait reprit sa pomme et s’adressait à la jeune fille d’une voix qui s’efforçait de ne pas paraître rustre. La galloise ne put répondre immédiatement, car le taulard qui tenait les rennes s’était lancé dans une violente tirade qui en finalité de cause, mit également la galloise dans son sac d’accusés. Mais que donc avait-elle fait pour mériter que ce type s’en prenne à elle à ce point ?!
Comme d’habitude, et cela commençait vraiment à faire souvent, elle fit abstraction des attaques – faute de mieux – et tenta de répondre à son interlocutrice d’une voix tremblante, en espérant qu’elle aussi passerait sur les remarques de Liam pour ne pas s’attirer d’ennuis… l’adolescente savait trop de quoi le trentenaire était capable. Le silence était finalement tombé sur l’assemblé refroidit par l’aigreur du doyen, et elle baissa instinctivement le volume sonore de sa réponse.

- Tu devrais pas t’occuper… Comment je suis arrivée ici ? … je ne sais pas vraiment.

Elle leva les yeux au ciel en essayant de se souvenir.

- Je me suis retrouvée dans un San Francisco bizarre après l’hypnose… j’ai été capturée par des hommes étranges qui m’ont emmené sur un bateau pirate. Là j’ai passé un temps interminable à faire des corvées diverses en essayant de me faire oublier… d’ailleurs ça a raté, parce que je me suis fait punir à la cale pendant toute la fin du voyage.

Une mine douloureuse marqua son visage, et elle dû essuyer ses yeux qui recommençaient à la brûler, menaçant de laisser filer de nouvelles larmes.

- Ensuite j’ai un trou… je me suis réveillée dans une cage… avec… eux.

Elle désigna vaguement de la main Liam, Lys, Jonh, Ella et William.

- On s’est fait achetés par une sorte de… créature… une femme vampire. Et là bah on…

Honteuse, Selene détourna le regard vers le bord de la route. Ils s’approchaient de la ville, et désormais, on pouvait discerner une arche d’entrée avec un nom difficilement lisible, et quelques hommes en toges qui guettaient déjà la charrette de loin, suspicieux de savoir ce qui allait arriver à leur petite ville. Elle devait pourtant bien de nouveau porter son attention sur la jeune femme, et elle poursuivit son récit, les yeux rivés sur ses pieds.

- Je ne sais pas trop pourquoi, mais on s’est tous réveillé dans la fosse sceptique de la tour de la luxure… alors on s’est enfuit. On a dû voler des vêtements pour venir jusqu’ici parce qu’on était…

Sa gorge se noua, elle leva un regard timide vers Elena, puis reporta son attention sur ses sabots de cuir mystérieusement captivant depuis les dernières minutes. La galloise se retourna pour voir ce que faisait son amie de son œuvre en fruit, et ne put retenir un éclat de surprise en s’apercevant que Myia avait désormais une taille adulte bien éloignée de sa physionomie de gamine qu’elle lui avait connu jusque là. Interloquée, elle resta un moment avec les lèvres muettes qui s’agitaient comme un poisson hors de l’eau, avant de maladroitement demander :

- Mais tu… Comment tu as fait ?! Tu es une enfant ou… ou pas ?!

Difficile à discerner de soi même. Elle avait un appétit d’enfant, et son mensonge dédié aux gardes qui essayaient de la mettre à mort ne pouvait naitre que de l’esprit espiègle d’une gamine à l’imagination fleurissante. Pourtant, le courage avec lequel elle s’était élancée en avant était digne d’une adulte… non ? Peut-être n’était-ce que de l’insouciance ?!
Quoiqu’il en soit, la borderline ne lui répondit pas, car elle s’était ruée à l’extérieur à peine Liam eut-il stoppé la charrette au beau milieu de l’allée principale. Il avait eut raison : au beau milieu de la foule de villageois en tenues typiques qui vaquaient à leurs occupation dans trop se soucier du véhicule intrus, un petit groupe d’intéressé dressait sur la route une barrière virtuelle de laquelle se détachait progressivement un homme grand, l’allure digne, relativement âgé, au crâne chauve si lisse que le soleil y faisait jouer ses rayons alors qu’il avait une barbe drue qui évoquait vaguement Hagrid dans Harry Potter. Autour d’eux, Selene apercevait des commerces, des auberges, des tavernes, et autres services diverses qui donnaient presque l’impression d’avoir débarqué dans une petite bourgade touristique. En tout cas, le grand gaillard barbu fit lentement le tour de la charrette en jetant parfois des regards suspicieux à Liam, jaugea ses passagers avec attention en notant l’état misérable de la plupart d’entre eux, puis revint faire face au conducteur, caressant les naseaux de l’âne d’une main distraite.

- Je suis Homéctus, le maire de cette bonne vieille citée de Telehem. Désolé de vous coupez ainsi la route mais… vous comprendrez qu’on ne peut pas laisser librement circuler des véhicules aussi singuliers que le vôtre. Vous m’avez l’air en piteuse état… vous avez essuyé une attaque ? Besoin d’aide ?

Bien que le ton employé était celui de l’amabilité la plus généreuse, on pouvait lire à son regard que l’homme n’était pas dupe, et qu’il était grandement soupçonneux de la troupe dépareillée qui apparaissait à bord d’une charrette pleine de caisses de fruits entamés. Selene n’était pas douée du tout pour les gros mensonges, et elle estimait sans doute à juste titre que dire la vérité n’allait pas leur rendre service. Elle regardait timidement ses compagnons, en espérant que l’un d’eux ait en réserve un bobard qui ferait l’affaire.

Alors qu’Elena venait de se rassoir, elle vit la petite fillette brune se lever à son tour pour aller offrir de la pastèque à Jeremiah qui commençait déjà à entrouvrir les yeux. Puis l’enfant retourna à sa place, tout en gratifiant la jeune femme d’un sourire réservé. Celle-ci voulut le lui rendre, essayer de lui adresser un regard chaleureux mais de cette tentative ne résulta qu’une sorte de grimace au sourire forcé. Elle décida donc de ne plus s’aventurer à tester sa capacité à paraître sympathique, c’était une cause perdue d’avance. Aussi, son visage redevint froid et inexpressif comme à son habitude.

Bien entendu, elle s’attendait à ce que Liam réponde aux mots qui lui avaient été adressées et ce ne fut pas sans paroles plus amères les unes que les autres. La jeune femme ne se sentait pas réellement atteinte par ce qu’il avait dit, après tout, ce n’étaient que des stupidités balancées dans le vent, mais son comportement de pauvre minable se prenant pour un super héros commençait à l’agacer sérieusement. Certes, trop occupée à ses propres pensées, elle n’avait pas remarqué que notre sauveur si fantastique avait décidé de prendre les rênes. Mais quel exploit que de tenir deux cordelettes pour diriger un âne. Même la petite gamine rousse qu’il ne lâchait pas d’une semelle aurait pu le faire à sa place.
Sûrement pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, elle décida de ne pas suivre le conseil de Selene et ne put alors s’empêcher de lui renvoyer la balle en gardant néanmoins un sang-froid imperturbable.

-Non, bien sûr, si tu n’avais pas été là, ce pauvre homme serait mort, personne n’aurait pensé à l’aider, parce que contrairement à toi, nous sommes tous ici des êtres dépourvus d’humanité et n’hésiterions pas à achever un inconnu d’un coup de pied dans la mâchoire, répliqua-t-elle d’une ironie cinglante. En attendant, si ma prétendue blondeur n'était pas intervenue, une infection t’aurait laissé un joli mort de plus sur les bras. Mais bon, ça ne doit pas te gêner tant que ça, à te voir je pense que tu n’es plus à un cadavre près.

Lorsque le trentenaire lui proposa de descendre de la charrette, Elena ne put s’empêcher de lâcher un léger rire sarcastique.

-Ce n’est pas parce que ta bravoure légendaire t’a mené à prendre des rênes dans tes mains que cela fait de toi le chef ici, la charrette ne t’appartient pas pour autant. Donc je ne vois pas en quoi je n’assume pas mes opinions, si j’étais réellement hypocrite je n’aurais certainement pas pris la peine de t’adresser la parole. Conclusion, il n’y a aucune raison que je descende et si le fait de diriger un âne te demande un effort si immense, tu peux toujours demander à n’importe qui de te soulager de cette tâche, aux moins tu n’auras plus à te sentir supérieur. Tu es dans le même bateau que nous tous alors à l’avenir, garde pour toi tes remarques stupides et sans la moindre utilité, on n’a pas besoin qu’un tocard prenant des airs de surhomme vienne dicter sa loi.

La jeune femme se détourna alors de lui, espérant qu’il taise son narcissisme démesuré pour de bon. Non mais sérieusement, pour qui il se prenait ? Tuer un mec en l’attaquant sournoisement par derrière ne faisait pas de lui un demi-dieu, contrairement à ce qu’il pensait.

Elle se concentra à nouveau sur l’adolescente et fut surprise de remarquer que la petite fille qui s’était trouvée à côté était à présent une femme, d’environ une vingtaine d’années. Mais avec tout ce qui s’était déjà passé dans ce monde, ce n’était qu’une chose étrange parmi tant d’autres. Aussi, elle se contenta juste d’écouter les paroles de Selene avec attention. Alors qu’elle parlait, la jeune fille lançait de temps à autre des regards apeurés vers le trentenaire. Elena fronça les sourcils, se demandant ce qu’il avait bien pu lui faire d’assez atroce pour qu’elle soit à ce point terrorisée, mais se retint de l’interroger là-dessus.

-Toutes les personnes ici sont donc des patients du Dr. Parkinson ? demanda-t-elle, reprenant la conversation. Sais-tu quel est le but d’une telle … « thérapie » ? Parce que pour l’instant, je ne vois vraiment pas comment le fait de nous envoyer crever dans un monde irréel peut faire office de guérison.

Attendant la réponse de l’adolescente, la jeune femme regarda autour d’elle. Ils étaient entrés dans une ville construite suivant l’art gréco-romain. Aussitôt, un homme plutôt imposant s’avança vers la charrette pour la stopper au beau milieu de la rue, avant de s’adresser à eux. Sachant que les autres semblaient être ici depuis bien plus longtemps qu’elle, Elena ne s’aventura pas à répondre, ne voulant pas faire l’erreur de dire quelque chose qui pouvait leur être fatal et tout ça par manque de connaissance de ce monde. Jonh choisit alors ce moment pour inventer un bobard qui semblait plutôt crédible, mis en avant par le coup d’une larme coulant sur sa joue. A présent, la question était de savoir si le maire de la ville allait croire à ses paroles.

Bien entendu, si la jeune femme s’était échappée de la charrette, c’est parce que l’occasion de fuir cette ambiance dégradée s’était présentée. Entre le duo John-Sisi et le couple Liam-Elena, il y avait de quoi devenir fou…
Puis la question de Si-si l’avait quand même interpellée. Encore une personne qui hésitait entre son statut d’enfant, d’adolescente, ou d’adulte… Trop de secrets, trop de colère, trop de monde, trop de tout. L’air en était devenu irrespirable.

Un homme plutôt accueillant s’approcha de la joyeuse compagnie alors que chaque voyageur faisait son entrée sur la scène. De suite, certains d’entre eux se braquèrent. Comment se méfier d’une personne si bienveillante. Certaines choses la dépassaient, c’était évident ! Il se présenta pour traduisit le nom de la ville, celui qui était affiché non sans fierté à l’entrée de la ville méconnue. N’importe qui verrait du premier coup d’œil que cet homme avait un égo à la taille de sa gentillesse. D’ailleurs il avait un nom étrange qu’elle ne su, ou voulu pas retenir. Il serait donc Monsieur « Cactus », le maire de « Telem ».

Alors qu’elle s’apprêtait à répondre à Cactus, John passa à ses côtés et la devança. Que lui arrivait-il au larbin de Liam ? Son attitude cloua Myia sur place, pour la simple et bonne réponse qu’il copiait sa technique de diplomatie, celle qu’elle avait utilisée face au marchand et aux archers. Sur le coup, la jeune femme n’avait qu’une envie, annoncer comme étant des esclaves ce voleur de John et pourquoi pas Liam. Figée par cette attitude si peu naturelle lorsque l’on avait vu cette homme mépriser Selene tout en faisant les éloges de Quasi’, la jeune femme ne pu retenir sa mâchoire inférieure. Sa bouche était grande ouverte, et ses yeux ne quittaient pas le dos du John. Au fond d’elle, Myia n’espérait qu’une chose, qu’il perçoive son regard noir.
La maire du capter son regard surpris, non choqué. Il fallu moins d’une seconde à la jeune femme pour retrouver un air fatigué, en accord avec les paroles qu’elle aurait pu donner. Après un bref air sceptique, les traits du visage du maire se détendirent. Rassuré il reprit la parole, et sans allusions cette fois-ci :

- Toutes les maisons sont occupées pour le moment, et vu votre nombre, nous vous proposons l’étable, simple mais confortable. Elle est au bout de la ville, et avec les chaleurs actuelles, les animaux restent dehors. Ici il y a principalement des paysans, alors pour les vivres et les vêtements, je suis sur que vous trouverez des âmes charitables. Nous ne sommes pas contre le troc cependant…

Il jeta un bref coup d’œil au blessé encore installé dans la charrette puis reprit :

- Nous avons une infirmerie non loin d’ici, vous pouvez y emmener les blessés pour qu’ils soient soignées. Mais ça n’est pas un pensionnat.

Après ce discours fort sympathique, Myia s’approcha en trottinant d’un champ de légumes divers qui se trouvait à quelques pas de son groupe. Un gamin la fixait depuis quelques temps, et ce n’est que lorsqu’elle fut à sa hauteur qu’elle en comprit la raison : son fruit sculpté l’intriguait. L’envie de le lui donner était irrésistible, mais le fait qu’il ne lui appartienne pas l’attristait. Myia se retourna vers Si-si et lui adressa un regard interrogateur tout en faisant mine de donner le fruit au gamin curieux. Le sourire timide de Si-si mit fin à ses hésitations et elle offrit le reste de fruit à l’enfant qui s’en alla en moins de temps qu’il n’en fallait pour dire « ouf ». De nouveau, la jeune femme en resta bouche bée, et adressa à Si-si un regard inquiet. Finalement le gamin refit surface et lui tendit une… chose sans dire mot. Ce qu’elle comprit, c’était que ça se mangeait et c’était bien le principal !
Le légume avait un goût assez fade, et sa tête étrange sembla amuser le gamin. Sa tête se mit à la démanger mais elle réussit à se retenir. Myia remercia le gamin en lui frottant le dessus de la tête et retourna toute contente auprès de ses congénères. Certaines personnes regardaient au dessus de sa tête, comme si quelque chose d’étrange s’y trouvait. Ce n’est qu’en voyant le roulement des yeux las du maire et la tête de Si-si qu’elle comprit. Ses mains palpèrent alors le dessus de son crâne.

- Une fleur ? J’ai une fleur sur la tête !

En effet, le gamin lui avait fait une mauvaise blague. D’où venaient ses étranges effets secondaires ? Qui pouvait acheter ces aliments douteux ? L’ironie de la situation l’amusa, suffisamment pour qu’enfin elle rit de bon cœur. Elle imaginait sans peine le genre de traitements qu’allaient recevoir les blessés. Ces habitants avaient au moins le sens de l’humour ! Son imagination l’amena même jusqu’à imaginer Liam affublé d’une fleur sur le crâne : elle mourrait sur le champ !
Elle se souvint alors de la scène avec la pastèque et envoya le reste du légume magique à Liam qui le reçut sans aucune difficulté. Pour seul commentaire, se fut un air de défi, ni moqueur, ni sérieux.
Maintenant elle était fatiguée, et l’étable qu’elle s’était imaginée prenait des airs d’hôtels de luxe.

Finalement, c’était Jonh qui s’était collé au mensonge. Selene avait été au moins aussi sceptique que le maire de Telehem, mais celui-ci accepta finalement de les croire en leur offrant une hospitalité précaire mais gratuite. Cela avait été moins une, car le pouvoir du dépressif s’était révélé, et bien qu’il avait pour le moment envoyé son nuage se balader au dessus de la tête d’un innocent… combien de temps cela allait-il durer ?! Les actes de ses compagnons, comme ceux de Liam, Jonh, ou Jeremiah, la dégoutait douloureusement. Tant de mensonges, de fourberies et de meurtres ne faisaient que repousser l’échéance, jusqu’à ce que leurs ennuis soient si gros qu’ils n’aient d’autres choix que de succomber ; et l’idée qu’elle soit complice à toute cette mascarade lui déchirait l’estomac. Du coin de l’œil, la toquée avait vu Myia s’approcher avec intérêt d’un petit lopin de terre cultivé à l’entrée de la ville, à quelques pas de là, avant d’être interpellée par un garçonnet apparemment intéressé par la sculpture en poire. Elle sourit vaguement en haussa les épaules pour signifier à la jeune femme qu’elle pouvait en faire ce qu’elle voulait avant de regarder Homéctus, qui suivait la scène d’un œil suspicieux. Bientôt, la borderline se retrouvait à déguster un cadeau surprise qui eut pour effet de la faire rire de bon cœur. Comme si l’éclat de Myia avait été contagieux, le cœur de Selene se fit un peu plus léger, et elle laissa l’hilarité la secouer un moment, alors que le maire attrapait les rênes de l’âne pour le guider.

- Excusez-le. C’est bientôt la fête annuelle de notre ville ! C’est l’occasion pour les enfants de s’adonner à plusieurs plaisanteries sans grande prétention, vous devez savoir ce que c’est hein ?! La fleuri-carotte nous a été importée de Gloutoniskaia par un mage en voyage il y a très longtemps ! Mais elle ne se démode pas. Les effets disparaissent entre 1 ou 2 heures.

Alors que la charrette roulait lentement vers l’étable qu’on leur prêtait généreusement, la galloise se dit qu’il fallait peut-être qu’elle réponde à Elena, leur discussion ayant été coupée par l’arrivée dans la ville.

- Je crois bien que tout le monde ici était en visite chez Parkinson oui.

Elle marqua une pause pour réfléchir, secoua sa crinière rousse qui la démangeait désagréablement, puis poursuivit d’une voix hésitante.

- Mais je crois… enfin, je me demande si il sait vraiment ce qu’il fait. Je lui en ai voulu moi aussi au début ! Mais… il avait l’air vraiment sérieux et… stable. Il n’avait pas l’air de quelqu’un qui enverrait à la mort des gamines comme elle.

D’un signe de tête, elle indiquait Ella qui continuait de bouder dans les bras de son « papa ». Après tout, il l’avait bien mérité, et histoire qu’ils souffrent un petit peu tous les deux, Selene se surprit à penser que ça n’était pas plus mal qu’ils fassent la tête. Chassant ces pensées mesquines de son esprit meurtri, elle essaya d’expliquer sa réflexion à son ainée.

- Peut-être juste que… pour lui, il hypnotise ses patients, ils dorment, et se réveillent guéris… comme ça fonctionne, il vante sa nouvelle technique et l’applique à tout le monde, sans même savoir de quoi elle retourne.

L’adolescente eut une moue boudeuse.

- Je ne suis sûre de rien hein… mais je ne veux pas croire qu’il était foncièrement méchant…

Elle replongea dans son mutisme habituel, attrapant une pomme qu’elle mordit plus par réflexe que par véritable faim. Elle était rassasiée depuis longtemps, et il faut dire que la mauvaise ambiance dispersée par certains de ses acolytes lui était plus qu’insupportable. Elle se sentait minée, démoralisée, et la vue de la petite étable devant laquelle Homéctus fit s’arrêter la charrette fut presque un réconfort. La maire précisa qu’il y avait le tuyau destiné à laver les bêtes à leur disposition si besoin est, et qu’il allait envoyer quelqu’un chercher les blessés qui souhaitaient passer par l’infirmerie. Il réitéra également sa sommation de n’abuser de rien, sans quoi il saurait prendre les mesures nécessaires contre les vampires de charité. Le ton n’était pas menaçant, mais on se rendait compte que le bougre savait de quoi il parlait, et qu’il valait mieux ne pas se faire remarquer.

Epuisée, Selene descendit enfin de voiture, fit quelques pas en cercles pour se dégourdir les jambes, puis pénétra la première dans le bâtiment. Il y avait plusieurs larges box remplit de paille, un tuyau dans un coin, et une armoire scellée par un gros cadenas, à l’intérieur de laquelle devait se trouver tout le nécessaire à l’entretien de l’étable. Elle se choisit une place dans l’une des chambrettes de paille les plus éloignées de l’entrée, espérant intérieurement que Liam ne la poursuivrait pas jusque là. Cependant, elle aurait voulu que Elena et/ou Myia l’accompagne, histoire qu’elle ne soit pas toute seule. Mais bon, de toute manière, elle avait l’habitude d’être isolée ; et puis, avec ses amis qui habitaient sa tête en continue, elle n’était jamais vraiment toute seule.
L’adolescente s’était donc affalée sur un lit de brindilles significatives, l’odeur de l’endroit lui faisant oublier la sienne qui laissait plutôt à désirer, et fixait le plafond, pensive. Qu’avait-elle fait pour mériter ça ?! Cette question revenait souvent. Elle n’avait pas été mauvaise, n’avait fait de mal à personne… elle n’avait été qu’une victime entrainée par la force des choses depuis le départ, et peut-être aurait-elle dût refuser de visiter un psychiatre. Après tout, elle vivait très bien sa « maladie » elle. Un coup d’œil à ses bras vrillés de cicatrices souvenirs de ses scarifications lui fit pousser un soupir. Bon, elle ne le vivait peut-être pas toujours au top, mais de là à consulter un médecin…
Si elle avait sut, jamais elle n’aurait visité Parkinson, c’était évident.

A son grand soulagement Homéctus crut en ses paroles, du moins ne tenta pas une arrestation et proposa aux voyageurs d'aller dans une étable ainsi que des soins à leur disposition. Le dépressif lui fit un petit sourire de remerciement et inclina légèrement la tête. Le mieux était de montrer le respect à cette personne.
Le jeune homme descendit alors de la charrette histoire de pouvoir se dégourdir les jambes tandis que Mira s'était éloigné , discutant avec un petit garçon avant de revenir avec une fleur sur la tête. Jonh la regarda les yeux ronds. Heureusement la demoiselle prit bien la blague du garçon.
Le chariot fut arrêté devant leur nouveau toit qui la foi semblait tout à fait correcte. Après tout mieux valait une écurie que la rue non ? Jonh remercia encore une fois Homéctus et entra à son tour dans leur logis. La paille était assez abondante alors les voyageurs sentiront moins la dureté du sol. Tout comme Sélène il prit le choix d'aller le plus loin de la porte avant de s'installer contre le mur.
Il leva les yeux au dessus de lui et constata que son nuage était revenu lui tenir compagnie. Prions pour que aucun habitant n'entre pendant la durée de sa déprime. Le fait d'avoir penser à Lily avait fait revenir à la surface des souvenirs qui rendait Jonh triste comme pouvait l'indiquer le cumulus gris. Le jeune homme plia ses genoux pour les ramener vers lui posant sa tête dessus. Il se demandait franchement ce qu'il faisait là. C'était ses parents qui avait tenu à ce qu'il voit des psychologues et surtout ce Docteur Parkinson dont tout le monde parlait. Maintenant le voila qui était coincé dans un monde où il était considéré comme un criminel, fait la rencontre d'autres voyageurs dangereux et en plus la découverte de pouvoir dérangeant.
Si seulement il s'était écouté lorsque sa fiancé était morte il serait au moins tranquille avec elle là haut...Il en voulait un peu à Lys de ne pas l'avoir laissé faire dans la tour avec le couteau, surtout après ce qu'il avait fait avec Sélène.

Le trajet jusqu’à l’étable fut relativement court, si on ne comptait pas l’impatience de Myia à retrouver un lieu fixe, spacieux et un minimum confortable. Pendant leur marche un brin trop lente d’après elle, la jeune femme avait écouté d’une oreille distraite les paroles de Selene. Mais déjà, son esprit s’amusait déjà à imaginer un futur improbable : le docteur Parkinson lui-même projeté dans ce monde de rêves. Tel serait prit qui croyait prendre.

Enfin, la porte en bois de l’étable se mit à grincer et elle fit irruption dans l’endroit faiblement éclairé pour repérer le meilleur endroit pour dormir. Sauf que Selene fut la plus rapide, et en un rien de temps elle avait réussi à se dégoter un merveilleux box, suffisamment grand pour accueillir plusieurs personnes. Myia jeta un coup d’œil à ses compagnons de fortune : à l’exception de la nouvelle recrue Elena et d’elle-même, cette « chambre » commune ne recevrait aucun autre invité. Sa fleur suivait les ondulations de son corps alors qu’elle s’approchait joyeusement de l’adolescente. Quand l’effet disparaitrait, elle lui offrirait sa fleur, c’était certain !

En attendant, l’odeur qui s’échappait de cet élément incongru sur sa tête dégageait une odeur fort agréable qui se mêlait sans difficultés à l’odeur du foin et du bois. La jeune femme était si enivrée qu’elle en oublia presque sa fatigue. Assise aux côtés de la jeune Selene, elle voulut aussitôt entamer la discussion. Malheureusement pour elle, un « Chuuuut » balancé avec violence par plusieurs des voyageurs la calma aussitôt. Sans pour autant être démoralisée, elle tira la langue dans le vide, avec une merveilleuse imitation silencieuse d’un « gnagnagna »puis s’allongea et s’endormit presque aussitôt.

Son sommeil fut agité mais à son réveil tous ses cauchemars s’éclipsèrent et seul le souvenir d’avoir trouvé quelques heures de repos resta. Elle était d’attaque pour bouger. D’ailleurs il faisait une chaleur atroce maintenant dans l’étable. Le tout mélangé à l’odeur de transpiration, n’arrangeait rien. Et les ronflements d’origine inconnue d’avaient rien de rassurant ! A ses côtés, Selene roula sur elle-même. Elle aussi semblait être réveillée.
Après lui avoir chuchoté quelques paroles pour vérifier sa théorie, Myia l’aida à se relever, enjamba quelques corps puis se retrouva à l’extérieur en moins de temps qu’il n’en fallait pour dire « ouf ». La soirée était déjà bien entamée et l’éclairage des rues était des plus pauvres.

- AAAAAAAh ! Il fait meilleur dehors ! Heureusement que ces deux types étaient aussi épuisés que nous !

Myia frissonna. Bien entendu, Liam faisait partie du lot. En revanche, Selene ne pouvait se douter de l’identité de la deuxième personne.

- Jeremiah, le blessé. Je me souviens avoir déjà eu affaire à lui. C’est difficile à expliquer, mais il arrive à t’insuffler des… des sentiments qui ne sont pas à toi. On dirait même qu’il s’agit des siens. Bref, il n’est pas foncièrement méchant comme Quasi’, mais il faut soit jouer son jeu, soit l’éviter.

Pendant qu’elle replongeait à voix haute dans ses souvenirs flous, ses bras remuaient encore et encore, comme si elle voulait schématiser ce qu’elle voyait dans sa tête. C’était encore une manipulation assez dure pour elle, malgré son âge. Selene semblait avoir compris l’idée, alors elle ne s’attarda pas plus longtemps sur le sujet.
Au loin son regard se fixa sur un amas de boules lumineuses, très petites et discrètes, mais trop basses pour ressembler à des étoiles. Il s’agissait surement d’un petit regroupement de villageois, installés autour d’un repas, ou discutant de leur journée de labeur. Myia n’avait qu’une envie, partager ce moment avec eux. Plus tard peut-être.

- On ne sent vraiment pas bon ! Il faudrait trouver un plan d’eau. Il y en a forcément dans ce village de paysans ! On peut essayer par là-bas, on ne connait pas…

La rue certes large mais peu éclairée n’était que peu engageante. Mais la jeune femme tenait toujours la mais de Selena et l’invita à la suivre. Pendant qu’elles marchaient, Myia préféra engager la conversation plutôt que de se laisser effrayer par les ténèbres grandissantes.

- Je suis contente de t’avoir rencontrée. Depuis que je connais Melena, tu es la seule voyageuse, fille dont je me suis rapprochée. J’apprécie beaucoup Yoru et Kalyss qui m’ont sauvée… Tu peux me croire, ils sont plus fréquentables que ce Liam, ou son toutou inoffensif.

L’adolescente semblait être en accord avec ses paroles, cependant elle n’ajouta aucun mot, comme si elle détenait un secret lourd et honteux. De peur de perdre sa nouvelle amie, Myia n’insista pas, même si l’espoir qu’un jour elle se confie à elle se glissait dans son esprit.
Au détour d’un chemin, elles débouchèrent enfin sur un coin d’eau, un lac dont la surface ondulait tranquillement et protégé par des herbes hautes.
Sans plus attendre, Myia se dévêtît et entra dans l’eau dans un gémissement satisfait. L’eau était rafraichissante.

- Viens Si-Si ! Il n’y a personne et c’est agréable ! Tu vas revivre !

Perdue dans ses pensées, Selene ne vit finalement pas arriver à ses cotés la Myia adulte avec sa fleur sur la tête, pas plus qu’elle ne se rendit compte que Jonh s’était installé dans le box voisin du sien : elle sombrait peu à peu dans un profond sommeil sans rêve, le premier vrai sommeil depuis si longtemps qu’elle ne se rappelait plus quand. Pendant un court instant, elle eut l’impression de flotter au dessus de son corps, comme si son enveloppe exténuée l’avait mise à la porte un petit moment pour pouvoir recharger ses batteries, puis elle ouvrit lentement les yeux. Il faisait sombre désormais dans l’étable, mais elle sentait à sa position qu’elle n’avait pas bougé. A ses cotés, quelqu’un s’agita. L’adolescente pivota, et découvrit avec un sourire timide qu’il s’agissait de Myia-adulte, qui l’invitait à une petite promenade nocturne. Pourquoi pas ?! Une idée si normale lui apparaissait soudain si… étrange. Depuis son arrivée à Dreamland, jamais elle ne s’était baladée. Elle avait fuit, s’était fait capturée, avait trimé des semaines durant, s’était faite enfermée, achetée, violée, puis la fuite de nouveau… jamais une idée aussi banale que de profiter de la fraicheur de la nuit pour se distraire n’avait eut le temps de l’effleurer, et c’est toute étourdie de cette idée étonnement grisante qu’elle se laissait entrainer.

A l’extérieur, elle dut secouer à plusieurs reprises ses longs cheveux roux pour pouvoir les débarrasser de tous les fétus de paille qui s’y étaient malicieusement glissés, tout en écoutant les exclamations de son amie borderline au sujet des voyageurs mâles qu’elle n’appréciait pas. Elle avait envie de demander qui était « Quasi’ », mais elle finit par comprendre que la jeune femme faisait référence à Liam, et ne se contenta finalement que d’acquiescer d’un air compréhensif devant son air confus. Penser au taulard ne lui amenait qu’une vague de souvenirs douloureux, et la main que lui prit Myia pour l’emmener vers la rue la fit légèrement sursauter. Pour sûr elles ne sentaient pas la rose, mais quand bien même elles trouvaient une sorte de fontaine publique, auraient-elles le droit de se baigner dedans ?!
Un léger sourire se dessina sur le visage de la toquée. Après tout, c’était une soirée de fête, non ?! Sa première soirée de liberté à Dreamland, et même si elle avait toujours sur la conscience le mensonge d’appartenir à un groupe de criminels qui avaient volé une charrette, elle comptait bien profiter de l’absence de ses bourreaux pour se changer les idées un temps soit peu. Ses amies lui avaient souvent répété dans le monde réel « tu es trop timide Selene ! On croirait presque que tu es coincée des fois. Profite de ta jeunesse pour faire des folies ! » ; et jamais jusqu’à maintenant, elle n’avait sentit comme ça pouvait être excitant de faire des « folies ». Elle ne remarquait même pas comme la rue était sombre, tant elle jubilait intérieurement de sa sensation de liberté. Le vent lui apportait une agréable fraicheur en caressant sa peau moite de sueur, agitant faiblement sa robe et sa chevelure, et même le regard méfiant des quelques personnes que leur duo croisait de la dépossédait pas de son sourire.

Une nouvelle réplique de Myia la tira de son nuage d’allégresse pour la laisser pensive. Elle ne se souvenait que très vaguement de Melena, pour l’avoir croisé quelque fois sur le Slavedog Millionnaire, et ne pouvait donc pas porter le moindre jugement de personne sur elle. A l’évocation de Liam et Jonh, la galloise baissa sombrement les yeux pour les fixer sur ses pieds aux chaussures trop grandes. Que pouvait-elle dire ?! Son cœur même refusait de pointer du doigt ces deux hommes comme des violeurs attitrés, car elle se souvenait du pouvoir d’Asmodée, et ne pouvait nier avoir sur le moment apprécié cet échange physique qui la dégoutait désormais à en vomir. Comment pouvait-elle rire de telles situations ? Quel genre de monstre cette femme était-elle pour forcer les gens à de tels actes ? Saurait-elle les retrouver là où ils sont ?!

La borderline rappela à elle l’adolescente pour lui montrer une sorte de lac entouré de hautes herbes. Elles avaient atteint l’une des extrémités de la ville, et cet endroit servait principalement de point de détente pour les enfants et les touristes pendant les grosses chaleurs. En voyant son amie si enthousiaste, la toquée ne put dire non, et avec le frisson d’excitation de celle qui ose franchir ses limites, elle se dévêtit en hâte et se réfugia dans le bassin en se permettant un rire clair. Elle avait de l’eau jusqu’aux épaules, et le sol légèrement vaseux lui montrait que ce lac était totalement naturel. Malgré qu’il n’y ait effectivement personne, la jeune fille ne pouvait s’empêcher de régulièrement lancer des regards alentours, effrayée à l’idée de voir débarquer Liam, ou Jonh, ou n’importe quel autre homme qui serait d’avis de profiter de deux jeunes étrangères nues dans un bassin publique. Elle entreprit rapidement de se frictionner, tout en ouvrant enfin la bouche depuis de longues heures.

- Ça fait un bien fou ! Ce matin, j’avais put me baigner en mer, mais de l’eau douce, c’est quand même plus agréable !

Légèrement détendue par ses propres paroles, elle s’immergea pour pouvoir se laver la tête, et ressorti en soufflant avec un grand sourire.

- Aaaah ! Si jamais je racontais à mes amies du monde réel que j’ai pris un bain nue dans une sorte de lac publique d’une ville greco-romaine… je crois qu’elle penseront que je suis vraiment devenue folle.

Selene se mit à nager distraitement, ses yeux ne pouvant quitter très longuement la rue par laquelle elles étaient venues. Elle aurait bien voulu laver sa robe aussi, mais elle ne pourrait pas la remettre avant longtemps, et si quelqu’un venait… si Liam venait ?!
Elle chassa cette pensée en s’immergea un bon coup, et refit surface juste devant la borderline.

- N’empêche… je suis contente de te connaitre Mira ! Jusqu’à maintenant… je n’avais pas rencontré de gens très amicaux… et j’aurais presque fini par me dire que tous les voyageurs étaient comme ça…

Un nouveau sourire entre timidité et bien-être illumina son visage d’adolescente. Quelque part, la jeune femme lui donnait l’impression d’être une grande sœur dans ce monde de fous ; la grande sœur dont elle avait besoin pour ne pas se laisser submerger par tout ce qui la rongeait. Et si ce n’était la bienséance de ne pas se montrer trop familière avec une inconnue, elle se serait sans doute déjà jeter dans ses bras pour pleurer un bon coup comme une enfant débordée par les épreuves qui lui tombaient dessus. Quoiqu’il en soit, cette affection toute nouvelle l’incitait à rester légèrement accroupie, de manière à avoir de l’eau jusqu’au cou, car elle se sentait toute intimidé devant la nudité de son amie ; comme une fille aux formes encore juvénile le serait devant sa mère.

- Dis… de quoi tu souffres exactement ? Je veux dire… pour être ici. Moi… ma tante ma forcé à aller voir parkinson, parce qu’elle disait que ma passion des épouvantails tournaient à l’obsession. Mais ce n’est pas de ma faute ! Ils me rassurent tu vois… comme des garde-fous quand je suis malheureuse ou terrifiée… d’ailleurs j’avais beaucoup aimé le film de Tim Burton ! Euh… l’Etrange Noël de Monsieur Jack ! Tu l’as vu ?

Ça y est, Selene se sentait assez à l’aise avec Myia pour discuter et se livrer un peu. Elle s’était laissée emportée par ses paroles sans même s’en rendre compte et désormais, elle ne pensait plus à la menace d’un Liam débarquant du coin de la rue pour lui jeter un sarcasme cruel.

C’était étrange pour la jeune femme de voir Sélène hésiter si longuement. Un dilemme intérieur peut-être ? Pourquoi résister à ses propres envies ? C’est tout naturel après tout. Finalement elle s’autorisa cette baignade purifiante et laissa même échapper un petit rire, à la fois discret mais remarquable. Ce côté pur de la jeune fille rendit Myia mélancolique : elle, ne l’était plus. Ses regards inquiets balayaient les alentours. Pour sa part, la jeune femme avait totalement oublié le paysage qui les entourait et savourait pleinement la fraicheur de l’eau, tout en se nettoyant. C’est avec une assurance toute nouvelle que Sélène reprit la parole. Ainsi elle et les autres membres de son ancien groupes avaient approché la mer, quelle chance. Mais elle ne mentionna pas s’ils avaient vu un port ou un village de pêcheurs, ce qui signifiait surement que ça n’était pas le cas. Elle ne chercha même pas à vérifier et se remit à jouer avec l’eau en projetant avec ses mains de l’eau sur Sélène.

- J’espère que tu auras l’occasion de leur raconter, à… tes amies. Ca ne serait pas plus mal qu’elles croient que tu sois devenue folle. Ca voudrait dire que tu as changée et que ce Parkinson a, malgré lui, réussi son travail.

Myia soupira tout en s’immergeant totalement. Sélène avait des amis. Myia n’avait aucun souvenir des siens, probablement parce qu’elle n’en avait jamais gardé à ses côtés bien longtemps. Récemment, elle en avait eu la preuve avec Melena. Tout le monde finissait un jour par la quitter, et ceci lui brisait un peu plus le cœur à chaque fois.
Sa tête retrouva l’air tandis que ses cheveux ruisselants se collaient contre son visage. D’un geste elle les repoussa, soudain beaucoup moins amusée par l’ambiance aquatique. Pourquoi ses souvenirs tristes venaient-ils de gâcher son moment agréable ? La moue boudeuse qui ornait désormais son visage en aurait surement amusé plus d’un, d’autant plus que la fleur n’avait pas quitté le dessus de son crâne.

* Deux heures qu’il disait… *

Sélène choisit ce moment pour aller faire quelques brasses. Ce fut amplement suffisant à Myia pour mettre de côté cette sensation d’abandon et se laisser aller un peu plus dans l’eau. L’air se faisait plus frais et s’amusait à la faire tressaillir. En plus de cela, l’adolescente semblait de nouveau gênée. Cette même gêne qui s’atténua lorsque son corps à l’exception de sa tête fut dissimulé par l’eau. La jeune femme inclina la tête sur le côté sans la quitter des yeux. La pudeur n’était pas dans ses habitudes et elle ne la comprenait pas chez les autres. Après tout, c’était la nature humaine.

L’adolescente enchaina sur un sujet qui eut pour effet de surprendre Myia. Ses mains s’arrêtèrent même de jouer avec l’eau. Sa tête s’inclina en arrière pour reposer sur l’oreiller humide, elle réfléchissait à la question de Sélène. De quoi, souffrait-elle ? Voulait-t-elle faire allusion aux blessures qu’elle s’infligeait ? Non, ce n’était pas le pire à ses yeux…

- De solitude…

Ces deux mots sortirent spontanément, comme si son corps entier l’avait poussé à formuler cette pensée horrible à voix haute. Surprise par sa réponse, ses deux mains se postèrent devant sa bouche. Mais c’était trop tard, ces mots, comme du poison qui la tuait à petit feu, venaient de nouveau de faire effet. Ses yeux se baissèrent jusqu’à se noyer dans la surface de l’eau : les étoiles naissantes s’y reflétaient déjà, pétillantes et mobiles, à l’apparence si jeune, et peut-être déjà mortes. Préférant pour le moment rester sur une note joyeuse, Myia choisit de rebondir sur le cas de sa nouvelle amie.

- C’est beau que les épouvantails te rassurent et te protègent… S’ils sont là pour toi, que demander de plus ? Le film de Tim Burton, ses poupées et autres créatures tout droit sortis de nos rêves ?! Oui, je l’ai adoré. Excepté l’ambiance parfois un peu glauque. Mais je me dis qu’à côté d’ici, ça n’est rien maintenant…

Ses commentaires s’arrêtèrent là et un long silence s’en suivit. Pas le moins du monde gênée, elle replongea ses mains sous l’eau pour en chasser une partie en direction du visage de son amie. Bien entendu elle ne s’attendait pas à une attitude de ce genre à un moment pareille. Satisfaite de son effet de surprise, tout signe de mélancolie ou autre sentiment de tristesse fut balayé de son visage. Ses yeux pétillaient de nouveau et son sourire s’étirait jusqu’à ses oreilles : c’était la vraie Myia, enfant malgré elle.

Souffrir de solitude ?
Selene comprenait ce que voulait dire la borderline, tout comme elle comprenait que c’était la conséquence de sa maladie, et non la pathologie en elle-même. Mais par respect pour le silence que semblait vouloir conserver la jeune femme, l’adolescente n’insista pas et se laissa aller à sa réplique rassurante au sujet des épouvantails. C’était une bonne chose ? Oui, c’est que ce pensait la toquée elle aussi, mais apparemment, son tante n’était pas de cette avis ; et le docteur Parkinson non plus puisqu’il l’avait hypnotisée pour la « soigner ».

Son silence pensif fut interrompu par Myia qui l’aspergea d’eau avec un grand sourire. Surprise mais pas pour autant désarmée, la galloise répliqua en déclenchant une petite bataille d’eau entre les deux nouvelles amies seules à profiter de ce lac sous la lumière de la lune.
Finalement, toujours secouée d’un petit rire clair, Selene rejoint le bord et s’assit sur l’herbe fraiche en regardant la borderline restée à flot pour profiter encore un peu de cet endroit inespéré.

- Tu me mouilles plus hein ?!

Un sourire se dessinait sur son visage rafraichit qui était enfin débarrassé des plaques rougies laissées par le soleil, puis elle attrapait sa robe blanche et la plongea dans l’eau du lac tout en la frottant avec énergie. Après tout, il faisait assez chaud ici, même de nuit, et le tissu ne serait sûrement pas très long à sécher. Et puis de toute manière, tant de gens avait déjà pris connaissance de sa nudité, ou au moins des formes juvéniles de son corps, que quelques heures supplémentaires de transparence ne seraient pas très cher payées pour être enfin défaite de cette insupportable odeur de sueur. La toquée fut sûrement la première surprise de cette réflexion qui ne lui ressemblait pas tellement, mais elle ne put que sombrement se rendre à l’évidence que c’était une vérité. Parmi son groupe de voyageur, son intimité n’était déjà plus un secret pour la plupart, et les autres avaient eut tout le loisir de la détailler au travers le tissu trop fin de sa robe volée.
Selene poussa un soupir triste en poursuivant sa besogne dans le silence. C’était incroyable comme dans ce monde, certaines choses perdaient de leur valeur sans qu’il ne soit possible d’y faire quoique ce soit. Pour elle en tout cas, la conscience de sa virginité et que son corps restait une propriété privée qu’elle ne saurait se résoudre à accorder à n’importe qui était importante, primordiale. Désormais, elle se sentait salie, plus basse que terre, sans aucune possession sur elle-même, comme si elle n’était plus qu’un objet publique utilitaire qui risquait à un moment où un autre d’être appelé à une tâche qu’elle ne supporterait pas. Elle aurait voulut en parler, recevoir des paroles réconfortantes qui la tirerait de sa grisaille négativiste, mais comment aborder le sujet ?! C’était trop dur pour elle de se confier à une personne qu’elle connaissait à peine, même si cette personne était très gentille, et elle préférait laisser son cœur se livrer aux épouvantails qui l’habitaient car au moins, même si ils n’étaient pas doués de la parole, ils ne la raillaient et la réconfortaient de leur simple présence.

La galloise finit son lavage, essora son vêtement du mieux qu’elle put avant de le remettre, le contact du tissu humide sur sa peau déjà sèche lui laissant quelques frissons de fraicheur. Mais la sensation d’être un minimum propre et de ne plus être malodorante lui rendit le sourire que ses dernières pensées lui avaient dérobé, et elle s’allongea sur le dos pour contempler le ciel étoilé. Sans qu’elle ne puisse dire pourquoi exactement, il n’avait rien à voir avec celui du monde réel. Les petits points lumineux scintillaient de mille feux dans un ciel parfaitement dégagé, dessinant des constellations inconnues aux courbes adroites, comme si quelqu’un était monté au ciel pour les ajuster.

- Tu as vu ça Mira ?! Les étoiles sont vraiment belles ici !

C’était bien la première fois que Selene était enthousiasmée par quelque chose qui appartenait à Dreamland. Sur le bateau de pirate, elle n’avait jamais eut le temps de contempler le ciel ; et même si ça avait été le cas, elle était si minée qu’elle n’en aurait pas eut le cœur. Elle se rendait compte que tout son périple jusqu’à maintenant l’avait endurci quelque part, ou peut-être s’était-elle simplement accoutumée aux bizarreries sans nom de ce monde de fous ? Quoiqu’il en soit, à cet instant, elle se sentait presque bien, et se surprit à vouloir rester ainsi des heures, allongée sur l’herbe fraiche dans une robe humide, son doux visage auréolé de sa chevelure rousse. Mais malheureusement, plusieurs voix amusées se firent entendre en provenant de la route, et à peine la toquée fut-elle redressée qu’une paire de jeunes couples aux airs de touristes débarquaient à leur tour en maillots de bain, serviette et paréo. Ils s’étaient arrêtés net en apercevant le duo de voyageuses, comme si ils tombaient nez à nez avec des criminelles recherchées – ce qu’elles étaient ceci dit. De plus en plus angoissées, la galloise allait suggérer à son amie de s’en aller, mais finalement, l’une des filles du quatuor – une grande blonde aux boucles enfantines – se détendit pour lâcher d’une voix douce :

- Excusez nous, on pensait avoir été les seuls à venir profiter du lac à cette heure-ci, d’habitude les gens viennent plus tard, une fois que toutes les activités sont finies dans les auberges.

Elle jaugea un instant les deux comparses avant de reprendre avec un sourire.

- Vous n’avez pas l’air de la région, vous êtes en vacances aussi ?!

- Euh…

- Mais non Clair, vous faites partis du convoi qui est arrivé cette après-midi non ?! Après une attaque de bandit.

Selene baissa les yeux tristement, cherchant à se calmer pour que son pouvoir ne se déclenche pas, avant de lancer un regard suppliant à Myia.

- Oui c’est bien ça mais on… on s’apprêtait à partir toutes les deux, on ne va pas vous déranger.

Ça y est, elle venait de mettre sa part dans ce mensonge qui lui pesait gros sur la conscience. Mais d’imaginer ce qu’on leur ferait si quelqu’un découvrait la vérité la terrifiait suffisamment pour la réduire au silence ; elle devait s’éloigner de peur que quelque chose ne lui échappe involontairement, ou que sa capacité spéciale se révèle inopinément.

Et blablabla… Selene s’était mise à raconter sa vie tout en cachant les parties peu reluisantes (comme celles de jambes en l’air par exemple), présentant tout comme une suite de malheurs et de punitions. Une vraie victime née celle là ! Aucun caractère, pas étonnant que tout lui tombe dessus. Elle n’était même pas capable de se débattre de toutes manières, ce n’était pas lui qui allait plaindre pareille lavette. Il se désintéressa donc du discours de la rousse avant que la voix d’Elena s’élève après une nouvelle démonstration à la docteur Quinn, j’ai nommé « aujourd’hui messieurs dames nous apprenons à replacer une mâchoire ». L’envie folle de lui demander si elle savait aussi se recoudre la gorge après qu’il l’ai tranché le démangea sérieusement mais il préféra la laisser cracher son venin dans son dos tout au long de la route.

Elle passait son temps à dénigrer les efforts de Liam pour se passer ensuite de la pommade comme pas possible. Cette fille avait la tête si enflée qu’elle ne devait plus passer par les portes et Liam se faisait déjà un plaisir à l’idée de lui tailler les oreilles pour l’aider à récupérer une taille plus convenable. Elena se prenait ni plus ni moins pour une cheftaine investie de droit divin, alors qu’elle avait autant le droit de monter dans cette charrette qu’un vieux rat rongé aux puces. Les seules personnes qui techniquement avaient ce droit étaient Selena, Myia, Jeremiah et lui-même, en gros ceux qui avaient fait quelque chose pour avoir un moyen de transport. Cette cruche n’avait aucun droit dessus et si elle continuait à caqueter il allait se faire un plaisir de l’envoyer bouler dans la poussière et finir la route à pied.

Ce fut la petite voix d’Ella grommelant à ses côtés qui retint son geste alors qu’il commençait à se relever et il partit aussitôt dans un fou rire réprimé. Le pétasse lâché par la gamine avait semblé si naturel dans sa bouche enfantine, si « juste » que ça avait eut plus d’effet que dans une bouche adulte. Le fait que l’enfant se remette à parler, et en plus pour prendre sa défense ne fit que renforcer cet état euphorique qui dura jusqu’à leur descente de charrette. Il ne prit même pas la peine de répondre à la question d’Elena sur l’utilité de leur présence ici alors qu’il avait bien une théorie à ce sujet.

Après tout leurs pouvoirs ne les confrontaient-ils pas quotidiennement à leurs problèmes tout autant que les situations improbables dont regorgeait DreamLand ? A force de côtoyer nos peurs, nos obsessions elles finissaient par régresser et enfin se tarir. Le seul problème dans cette méthode, c’était qu’avec le départ d’un problème une foule d’autres débarquaient. Ce monde n’était qu’une sorte de vaste boite de Pandore qui finirait par les rendre tous complètement maboul… et le taulard appréciait grandement cette idée.

Le maire qui leur adressa la parole à peine arrêtés ne lui laissa même pas l’opportunité ou non de choisir de rabaisser le caquet de la dindefirmière. Il se lançait dans un discours pompeux qui ne masquait pas sa suspicion, son regard ne laissant que trop transparaitre sa méfiance. Jonh se chargea aussitôt de monter un bateau qui tenait la route et cette initiative laissa Liam pour le moins surprit. Plus le temps passait plus le jeune homme évoluait sous ses yeux, un vrai plaisir ! Le trentenaire retint mentalement toutes les informations débitées dans le cas où ils auraient besoin de répéter tout en tentant de prendre un air affecté, serrant Ella contre lui dans un geste protecteur qui servait leur comédie.

Après quelques secondes de latence le mur de crainte du maire tomba et il leur offrit l’abri d’une étable pour passer la nuit. C’était mieux que rien et Liam s’empressa de lui adressa un sourire plein de fausse reconnaissance avant de voir revenir Myia avec… une fleur qui lui avait poussé sur le crâne. Le taulard haussa un sourcil mais comprit bien vite lorsqu’elle lui jeta les restes d’un légume avec un air de défi horripilant. C’était ce truc qui avait causé ça ? Et elle croyait qu’il allait en manger ? A croire que son cerveau régressait à chaque fois qu’elle rajeunissait…

Le tueur laissa tomber l’espèce de carotte à moitié consommée et l’écrasa sous son talon avant de lâcher d’un ton amusé :

- Je n’ai pas encore envie de fleurir, mais merci quand même.

Il ajouta à voix basse à l’attention de la femme-enfant, non sans sourire :

- Jusqu’à maintenant tu étais un pot de fleur, et désormais on a trouvé quoi mettre dedans. Quelle chance !

Pendant ce temps leur hôte lui prit les rênes pour mener l’âne et son chargement à l’abri dans l’étable tout en leur expliquant des choses insignifiantes que le taulard ne suivit que d’une oreille distraite. Le bourdonnement de la conversation de Selene dans son dos le berçait dans la chaleur de la fin de journée et tout le poids de sa fatigue sembla lui tomber dessus d’un seul coup avec la force d’un coup de marteau. Ce fut avec soulagement qu’il se laissa tomber à terre une fois arrivé avant d’aider sa fille à descendre. Liam avait des fourmis dans les jambes à force de rester assit et pouvoir se dégourdir était un vrai bonheur.

Il attendit que l’homme sensé les amener à l’infirmerie arrive pour aider à placer Jeremiah dans une civière et le suivre avec Ella sur les talons jusqu’à un bâtiment ou une bonne femme bien en chair se chargea de dispenser des soins plus évolués qu’une rasade de jus de citron. Le taulard en profita pour se faire soigner et poser un bandage propre au niveau de l’entaille qu’il s’était fait à la gorge dans la tour de la luxure. La petite rouquine et lui restèrent sur place jusqu’à ce que l’infirmière juge possible de transporter le sociopathe encore inconscient jusqu’à l’étable et seulement alors ils retournèrent auprès des autres qui ne les avaient pas attendus pour prendre leurs aises.

Liam laissa un Jeremiah à l’épaule bandé dans un box vide et fila en investir un autre assez loin de la porte pour éviter de se trouver au milieu des courants d’air. La paille était chaude et la couche qui couvrait le sol était épaisse, il s’y laissa donc tomber à côté d’Ella dans un soupir de plaisir. La plupart des voyageurs dormaient déjà, leurs respirations sonores emplissant le silence de la nuit déjà tombée. Au bout d’une demi heure à contempler le plafond en silence il remarqua Selene et Myia qui filaient dans le noir comme des voleuses. Il était bien tenté de les suivre mais…

Le taulard jeta un regard à la silhouette d’Ella avant de soupirer. Tant qu’elle serait dans cet état il ne pouvait pas se permettre d’aller vadrouiller, mais rien ne l’empêchait de tuer le temps en prenant une petite douche. Il se leva donc pour se diriger vers le tuyaux, ôta sans pudeur ses vêtements et entreprit de nettoyer sa peau craquelée par son dernier bain de mer en prenant soin de ne pas mouiller son pansement.

Ella n’avait que faire de ce qui se passait autour d’elle. Tant que Liam restait avec elle, la petite n’en demandait pas plus. Toute blottie au creux de ses bras, elle avait assisté à tout. L’attaque de la charrette, le coup de poing, la mort de l’archer.. Tout ça lui importait peu. Ils se défendaient. Quoi ?

Ils avaient dormi dans des égouts avant d’être chassés comme des rats, été enlevés, séquestrés, avaient été les esclaves d’un capitaine peu scrupuleux avant de servir à une maitresse aussi jolie que cruelle… Où était la morale dans tout ce qu’elle avait vécu auparavant ? Où ? Alors voler une charrette, déshabiller un pauvre marchand et tuer un ou deux archers, quelle importance. La rouquine haussa les épaules et resta bien calée dans les bras de son violeur favori.

La gamine avait passé une bonne partie du voyage muette, les yeux fixés sur le paysage qui défilait. Il lui semblait que son père lui avait passé les rênes à un moment mais.. Elle n’en était pas sûre. Et à la limite, la petite s’en fichait. Son esprit embrumé se réveilla seulement en entendant le rire d’une brune… Dont elle n’avait même pas remarqué l’arrivée. Mais la gamine se rendit vite compte que premièrement : elle parlait à son père et que, secondement, c’était loin d’être gentil.

La fillette était outrée. Comment osait-elle s’en prendre à son père comme ça ? Qui était-elle pour se permettre ça ? Est-ce qu’elle avait au moins fait quelque chose pour les aider ? Le groupe ? Qu’est-ce qu’elle pouvait bien savoir de ce qui leur était arrivé ? La rouquine marmonna pour elle-même, tête baissée.

- C’est vrai que ça, c’était utile… … Pétasse.


Les mots lui avaient échappé. Surtout le dernier, dont elle ne se souvenait que vaguement avoir entendu quelqu’un le dire.. Lily.. ? Noelia.. ? Aucune importance. Ce que la fillette n’avait pensé être qu’un léger marmonnement presque exclusivement interne avait en fait été prononcé à voix haute et intelligible, et son père au moins semblait l’avoir bien entendu, et… cela.. Le faisait rire ? La fillette esquissa un petit sourire à son père adoptif avant de se renfermer à nouveau sur elle.

Ils étaient arrivés. La rouquine suivit son père jusqu’à l’infirmerie, et se referma un peu plus en voyant la plaie sur sa gorge. Elle le détestait pour ça. Elle le détestait d’avoir voulu l’abandonner. Pas de ce qu’il lui avait fait. Il se trompait sur ça, mais c’était normal. Logique. C’était ça, forcément ça qui avait brisé la fillette, non ? .. Non.

La rouquine ferma les yeux et les rouvrit l’instant d’après, allongée dans la paille. Tournant la tête, le sang de la petite se glaça. Liam n’était pas à côté d’elle. Pourquoi. Un bruit connu la fit se redresser à moitié, et la rassura. Il était là, il se lavait. Simplement. Soupirant, la petite se leva et enleva son caleçon, le laissant à sa place, dans la paille.

- Papa..

La rouquine fit quelques pas de plus, tentant de déboutonner sa chemise, sans succès. Elle ne s’arrêta que presque aux pieds du tueur, et leva les yeux vers lui. Prenant elle-même l’une des mains de Liam, elle la positionna sur le premier bouton de sa chemise.

- Aide moi, s’il te plait..

Le jour s’était éteint laissant place à la nuit et un silence s’était fait dans l’étable seulement coupé par les ronflements des voyageurs et de leurs respirations.
N’ayant pas bougé d’un poil, Jonh était toujours dans la même position ainsi que son nuage. Il ignorait combien de temps s’était écoulé mais ca devait être plutôt des heures. Le jeune homme soupira et essuya ses joues mouillés par les larmes. Il avait pleuré dans son coin, silencieux pour ne pas que les autres l’entendent.
Il vit Liam entre avec Ella et Jérémiah. C’est vrai il avait oublié que ce dernier devait passer à l’infirmerie. Tout comme lui-même à vrai dire…De toute façon ce n’est pas comme si il avait envie d’y aller, c’était une punition qu’il s’était fait lui-même pour avoir toucher Sélène. Alors comment pourrait-il soigner ça ? Ca serait comme si il se pardonnait son acte odieux. Bien qu’il savait que la dame de la tour de la luxure y était pour quelque chose ca ne l’aidait pas. S’il avait eu plus de volonté il aurait pu repousser la rouquine qui lui était tombé dessus.
En parlant du loup celle-ci venait juste de sortir avec une autre voyageuse dehors. Qu’allaient-elles faire à cette heure là ? Jonh haussa les épaules, ce n’était pas ses affaires après tout. Le jeune homme décida finalement de s’allonger pour essayer de trouver le sommeil et ferma les yeux. Ce qui fut de courte durée car un bruit d’eau qui coule se fit entendre. Quelqu’un était en train de se laver avec les tuyaux. De toute façon Jonh pensait déjà qu’il aurait passer une nuit blanche à déprimé alors.
Ce dernier se leva et sortit de son petit coin entendant vaguement une petite voix parler. Ca devait être Ella…sans doute avec Liam qui se lavait.
Quelle bonne idée…
Jonh sortit de l’étable tandis que les habitants du village festoyaient non loin, le jeune homme se dirigea dans le petit bois. Il devait y avoir un point d’eau suffisamment profond non ?
Tandis qu’il s’enfonçait parmi les arbres des voix lui parvinrent aux oreilles. Il reconnut comme étant celle de Sélène et de « Mira ». Finalement elles étaient juste allées prendre un petit bain.
Le dépressif reprit sa marche jusqu'à arriver à une petite rivière qui devait alimenter un lac, quelque chose comme ça. Le jeune prit le choix de suivre le cours d’eau et arriva finalement devant un lac entouré de hautes herbes. Mais il y avait aussi les deux voyageuses qui étaient dans l’eau. Heureusement, Jonh était arrivé de l’autre coté et elles ne l’avaient pas encore vue. Ce dernier se cacha rapidement derrière un arbre. Manquerait plus qu’elles ajoutent « pervers » sur l’étiquette qu’elles lui donnaient.
Un groupe arriva alors près des deux voyageuses mais heureusement une personne qui en faisait partie était au courant de ce qui leur était arrivé. En espérant que ni Sélène ni Mira ne fasse de bourde. Il fallait qu’il reste cacher, connaissant le pouvoir de la rouquine, voir qu’un homme la regardait toute nue la transformerait en épouvantail.

Alors que la jeune femme continuait à patauger dans le lac, la jeune fille, Selene, avait retrouvé le bord de l’eau pour échapper aux attaques aquatiques de Myia. Dommage, elle aurait bien joué encore un peu, surtout que l’envie de l’éclabousser était devenue encore plus forte lorsque Selene lui demandait de la laisser sécher. L’instinct ou l’envie de désobéir ?
Laissée seule dans l’eau, Myia détailla le paysage nocturne qui l’entourait : l’eau était redevenue calme et silencieuse, mais sa couleur sombre avait le don de l’inquiéter. Les quelques bruits d’animaux inconnus qui s’échappaient parfois des herbes hautes eurent pour effet d’anéantir ses dernières miettes de courage. C’est donc en quelques enjambées qu’elle se retrouva auprès de Selene, seulement vêtue par la pénombre.

En voyant faire l’adolescente, elle aussi de mit en tête de nettoyer sa tunique claire et ses sous-vêtements. Au bout de quelques minutes elle les essora et les étendit sur une branche d’arbre qui descendait à sa hauteur. De temps à autre, elle cherchait un regard chargé de reconnaissance sur le visage de Selene. C’était peine perdue avec le manque d’éclairage.
Lorsque la jeune fille reprit la parole, Myia n’eut aucune difficulté à l’imaginer pointer telle ou telle étoile, apparemment plus belle qu’une autre, ou plus brillante. Myia les balaya du regard, se contentant de hausser les épaules en guise de réponse. Si elles étaient vraiment belles, ces étoiles auraient pu briller plus fort pour éclairer le coin de terre où Si-Si et elle se trouvaient.

Finalement elle vint retrouver sa place auprès de son amie, préférant rester assise sur le sol humide et étonnamment frais alors que le sommeil se faisait plus présent.
Pendant un long moment de silence, elles observèrent le ciel, l’une cherchant une once de réconfort, l’autre tentant vainement de comprendre pourquoi ce ciel scintillant était source d’apaisement chez l’autre. Par moment, elles échangeaient quelques paroles et riaient même. C’étaient d’ailleurs ces rares moments qui leurs rappelaient qu’elles n’étaient pas ou plus seule.

C’est pendant l’un de ces moments où le silence était maitre, qu’un petit groupe de jeunes s’approcha de l’endroit où les deux jeunes filles siégeaient. Perdues dans leur pensées, elles ne les avaient pas entendu approcher et c’est lorsqu’ils furent arrivés à leur niveau qu’elles furent saisies par la surprise. De part le bruit qu’ils faisaient, il y avait au moins deux filles dans le troupeau et une voix masculine s’élevait par moment : au moins trois, peut-être plus.
Myia sentit Selene se raidir à ses côtés, puis se redresser rapidement et s’agiter dans tous les sens. Sans comprendre pourquoi, Myia l’imita et constatant que Selene était plus habillée qu’elle, se dirigea vers la tunique encore humide et l’enroula autour de son buste, comme une serviette. Le groupe avait déjà remarqué leur présence et l’une d’elle s’approcha pour leur parler : une blondinette aux boucles tellement belles qu’on aurait dit une poupée. Aucun danger à signaler donc, et malgré l’attitude un peu effacée de son amie, Myia adopta une attitude naturelle.

- Bonsoir ! Nous avons suivit le même raisonnement que vous ! Et…

Alors que Myia désirait plus que tout poursuivre la conversation avec le quatuor, Selene s’était rapproché d’elle et lui jetait de temps à autre des regards suppliants. C’était pas juste ! Son amie lui piquait son regard, presque larmoyant, les yeux grands ouverts et les sourcils légèrement froncés. Dépitée, elle garda le silence tout en afficha une moue déconcertée tout en allant récupérer ses sous-vêtements sur la branche. Laissant son amie parler pour elle, les deux jeunes voyageuses prirent la poudre d’escampette après avoir rapidement salué les touristes curieux.
Alors que Si-Si prenait déjà la direction de l’étable, Myia arrêta de trainer des pieds en signe de rébellion et la rattrapa. Elle avait aperçu un autre petit coin paisible qui bordait le lac. Les herbes y étaient plus hautes encore, mais là au moins, elles seraient tranquilles. Myia l’attrapa par les épaules et l’entraina vers les herbes hautes. Non, elle n’avait pas le choix.
Elle installa de nouveau tous ses habits maintenant presque secs et retournant dans l’eau. Cette fois-ci cependant, elle se garda bien de s’amuser.

- C’est triste quand même…

Un léger bruit attira son attention dans les herbes à côté d’elle.

- Qu’on ne puisse pas se mêler à la population locale comme on le voudrait. Ca me rappelle notre vrai monde. Il y a les gens, et il y a… nous. Même si on a des capacités spéciales ici, on nous donne quand même la chance de tout recommencer. De ne plus avoir peur…

Myia soupira de manière exagérée avant qu’un nouveau bruit l’interpelle. Il venait toujours du même endroit. Aux aguets, elle regarda Selene qui semblait tout aussi surprise qu’elle. Et tout en lui intimant le silence, la jeune femme retrouva le bord de l’eau puis se figea. Qu’est-ce qui pouvait bien venir rompre leur tranquillité, en-co-re ?

Au moins, Myia avait compris ses regards suppliants et avait accepté de s’éloigner du petit coin que la bande de jeunes avait choisit d’investir. Ceux-ci regardèrent filer les deux voyageuses avec un air plus ou moins interrogatif, puis s’en allèrent vaquer à leur baignade sans leur prêter la moindre attention. Selene commençait à prendre la direction de l’étable, n’espérant plus que pouvoir se terrer dans son box rempli de paille pour oublier les battements encore agités de son cœur, mais voilà que la borderline la prit par les épaules pour lui faire faire demi-tour. Il y avait une sorte de petit parc boisé jouxtant le lac à la sortie de la petite ville, et c’est à l’intérieur que l’adolescente était entrainée, jusqu’à une petite rivière que leur duo suivit pour aborder le même lac que précédemment sur une rive tranquille d’où on ne discernait que très vaguement les vacanciers à cause de la pénombre. Craignant que les dreamlandiens ne les aperçoivent, la toquée resta au bord de l’eau, les deux bras plaqués contre son corps de manière à se ronger les ongles, guettant les rires qui parvenaient jusqu’à elles à l’affut d’une exclamation à leur égard. A vrai dire, Selene était si inquiète que dans les premières minutes, elle ne fit pas attention aux bruits dans les hautes herbes, pas plus qu’elle ne réagit au discours déprimé de Myia. Pourtant, au deuxième son suspect qui ressemblait vaguement à quelqu’un qui essaye d’être discret en étant caché derrière un arbre, la galloise tourna la tête, les yeux ronds de surprise et d’angoisse.

Figée et attentionnée au moindre bruit, la borderline récupéra doucement la bande qui lui servait de soutien-gorge et se mit en quête de la remplir de cailloux qu’elle trouvait sur le sol. Les membres de son amie tremblaient de plus en plus, et après ses ongles déjà bien abimés, c’est la peau de ses doigts qu’elle attaquait vainement à la recherche d’un réconfort quelconque. S’il y avait vraiment quelque chose derrière un arbre ou parmi les hautes herbes, il pourrait s’agir de n’importe quoi. Un animal sauvage, un pervers, un voleur… Liam lui-même qui s’amuse à narguer les deux voyageuses.

- Tu sais, je ne suis pas sûre que ce soir une bonne idée… on devrait peut-être…

C’était peine perdue. La jeune femme balançait sa fronde improvisée, et du faire mouche car un « aïe » étouffé se souleva bientôt de derrière un grand rempart de tiges paisibles, ce qui eut pour effet de pousser à son paroxysme l’angoisse de la galloise. Une nouvelle fois, son corps prenait son apparence d’épouvantail, sa chemise intacte, ses mains de branche ne lui laissant plus aucune peau à ronger et ses genoux fébriles faillirent se dérober sous elle quand une voix qu’elle connaissait s’éleva depuis le lac.

- Oh, bah vous êtes là ?! Vous n’étiez pas obligés de partir hein !

C’était la blondinette de la bande de jeunes qui avait fait quelques brasses jusqu’à leur coin du lac et venait d’apercevoir pour la seconde fois le duo de voyageuses sur la rive. Que penserait-elle en s’approchant assez pour se rendre compte que l’une des deux était désormais à demi transformée ? Est-ce qu’il allait falloir la tuer elle aussi pour qu’elle ne dise rien ? Et encore mentir ensuite pour dissimuler l’horreur ?
Finalement, l’adolescente avait l’impression d’être dans l’histoire d’Hansel et Gretel. Ce n’était pas des cailloux blancs qu’ils semaient, mais des cadavres, et les suivre permettrait sans doute de les retrouver plus efficacement encore que par n’importe quel autre moyen.

Selene n’eut pas le temps de voir que c’était Jonh qui se cachait, pas plus qu’elle ne laissa l’occasion à la dreamlandienne de la voir dans cet état. Sans aucune autre forme de procès, elle s’enfuit en courant pour se réfugier dans le parc, derrière un buisson qu’elle estima assez touffu pour la dissimuler le temps que sa capacité spéciale ne s’annule d’elle-même. Recroquevillée dans un coin, le visage crispé pour retenir ses larmes puisqu’elle ne pouvait pas appuyer ses paumes contre ses yeux humides, la jeune fille s’était mise à répéter faiblement « je veux rentrer, je veux rentrer, je veux rentrer… ». Toutes les horreurs qu’elle avait connu la hantait douloureusement à chaque fois qu’elle fermait les paupières, et même si son épouvantail préféré jaillissait de son esprit pour chasser ces images macabres, elle se sentait si sale et souillée par une aura viciée indécrottable que rien ne saurait la guérir profondément. Ça n’était pas de sa faute, ça ne pouvait pas être de sa faute, sans quoi elle avait raté quelque chose, un épisode dans la liste des pêchés graves qui la condamnait à errer dans un monde saugrenu en compagnie d’un type qui avait tout d’un taulard criminel.

Une voix grave se fit entendre, et des bruits de pas précédèrent la sensation d’une présence qui passe pour s’assoir sur un banc non loin de l’endroit où la galloise avait établi sa cachette. Il s’agissait d’un couple apparemment, qui profitaient de la fraicheur nocturne pour une petite ballade avant de retrouver la chaleur de leurs draps. Bientôt, le bruissement de leur conversation autant bénigne que privée avait couvert le bourdon des pensées tumultueuses et torturées de Selene, qui laissa échapper un soupir accompagné de quelques larmes. Elle avait envie de vomir, et pourtant elle n’avait pas tellement mangé depuis son arrivé à Dreamland. Elle avait presque envie de se rendre, de courir tout raconter au maire, car peut-être qu’après un douloureux épisode de franchise et de punition, elle pourrait commencer une vie neuve. Après tout, ce n’était pas elle qui avait tué toutes ces personnes. Que risquait une adolescente de 15 ans chez des gens civilisés ? On verrait bien qu’elle n’était que victime et pas bourreau… ne risquait-on de la renvoyer chez Asmodée ?
…
Telle est la question. Où s’arrête l’hospitalité des gens de cette ville exactement ? Y aurait-il quelqu’un pour plaider leur cause de voyageurs devant la colère d’un gardien aux pouvoirs aussi écrasants ?
Sans doute que non.

Lorsque Mira avait touché Jonh dans le dos avec son arme improvisé, ce dernier avait lâché un "aie" sans qui ne puisse retenir son mal. Il aurait surement un bleu plus tard maintenant...Bah au point où il en était...
De toute façon même si il s'était démasqué cela ne sembla pas avoir traversé le cerveau des deux adolescentes. Ayant le dos tourné à ces dernières, le dépressif n'avait pas vue que la rouquine s'était transformé en épouvantail. Ce n'est que lorsque celle-ci s'était enfuie après le retour de la jeune fille du groupe, qu'il remarqua qu'elle ne portait plus de robe blanche.
Jonh se redressa alors pour aller à la suite de l'adolescente. Il ne tarda pas à la retrouver dans un coin en train de pleurer. Un couple arriva pas loin d'eux en prenant place sur un banc. Génial. A vrai dire le dépressif ne savait pas vraiment quoi dire à Sélène, lui qui avait vachement baissé dans son estime, passant de celui a qui elle faisait confiance à un "toutou de Liam". Enfin ca c'était d'après une certaine personne, il en avait eu juste marre d'essayer de se racheter. Mais la voir comme ça lui brisait un peu le coeur. L'adolescente rouquine était une jeune fille faible il n'y avait aucun doute là dessus et tomber dans un monde fous comme celui-ci c'était pas sa tasse de thé.

- Euh...

Il avait quand même gardé une distance des fois qu'elle s'imagine un truc.

- Tu devrais rentrer pour te reposer...

C'était débile comme parole mais Jonh n'avait rien trouvé d'autres. Sélène était sur les nerfs c'est tout ce qu'il avait vue et par conséquent une bonne nuit de sommeil ne lui ferait pas de mal pour décompresser, surtout après les épreuves qu'elle avait enduré.

[Hrp : Jonh, c'est Myia qui t'avait balancé des cailloux, pas Selene =p lol]

Seule, Selene s’était perdue dans l’écoute distraite de la conversation du couple pour oublier sa propre peine. Elle sentait ses larmes faire marche arrière, son cœur lui faire un peu moins mal, et bientôt, elle aurait presque oublié son malaise pour ne se sentir qu’extrêmement lasse et engourdie. En fin de compte, elle n’avait pas énormément dormi, et désormais qu’elle se sentait propre et un peu plus libre qu’il y a quelques heures, son corps ne demandait rien d’autre que de longues heures de repos.
Finalement, une voix qu’elle connaissait la tira de ses rêveries pour la ramener à sa dure réalité. C’était Jonh. D’où sortait-il ? Comment savait-il qu’elle se cachait ici ? Allait-il l’insulter ou la rabaisser encore une fois ? La jeune fille eut un mouvement de recul en l’apercevant, étouffant un couinement de surprise apeurée, recroquevillant ses bras en bois contre sa poitrine de paille. Tremblante, elle attendait, mais le jeune homme ne fit que lui proposer de rentrer à la grange se reposer. Suspicieuse, la toquée n’arrivait pas à bouger, et elle continuait à fixer le dépressif avec de grands yeux écarquillés, comme cherchant à sonder ses véritables intentions. Dans l'étable, il y avait peut-être encore Liam, qui guettait dans le noir de l’entendre arriver pour lui sauter dessus et profiter d’elle pour se soulager sans que personne ne puisse lui venir en aide. Selene ne pouvait pas vraiment se résoudre à y retourner seule, elle aurait au moins voulu que Myia soit là pour l’accompagner, mais la jeune fille ne semblait pas repasser dans le coin… était-elle au prise avec la personne qui se cachait dans les buissons ? L’avait-elle déjà oublié en ayant trouvé en la blondinette vacancière une autre partenaire de jeu ?

Toutes ces interrogations furent stoppées nettes, car la voix grave de l’homme qui discutait auparavant avec sa compagne sembla s’élever à l’intention des deux voyageurs – ou du moins à celle de Jonh, car derrière son buisson, la jeune fille était invisible depuis le banc.

- Quelque chose ne va pas ?

Ce fut comme un signal de départ. La galloise se redressa brusquement et s’enfuit une nouvelle fois, quittant bientôt le couvert des arbres pour s’échapper par le sentier par lequel elle était arrivé quelques instants plus tôt. Elle ne savait pas encore où se rendre, et n’eut pas immédiatement le temps d’y réfléchir, car elle heurtait de plein fouet un homme de forte carrure au moment où elle regagnait la rue principale. Jetée au sol sous le choc, sa poitrine de paille lui avait évité la douleur de l’impact et seules ses fesses qui l’avaient réceptionnée avaient souffert de l’incident. Cependant, les petits yeux noirs brillants au milieu du visage abondamment barbu s’ouvrirent en grand devant l’apparence saugrenu de l’adolescente, qui bondit sur ses pieds le plus rapidement possible pour s’échapper une nouvelle fois et regagner une ruelle sombre apparemment déserte. Elle ne comptait plus les anecdotes, méfiances et autres sermons qu’elle avait connu dans le monde réel au sujet de ces petites impasses isolées, mais à l’heure actuelle, elle avait besoin de se cacher au moins le temps de recouvrir son corps normal. Cependant, elle demeurait si angoissée que la métamorphose ne semblait pas encore enclin à s’inverser, et Selene s’accroupit dans l’ombre en ramenant ses jambes contre sa poitrine avec l’intention d’essayer de se calmer. Mais une foule de questions la turlupinaient : le villageois avait-il réellement vue son apparence ? Était-il assez soûl pour avoir oublié dès le prochain matin ? Était-il assez crédible pour que les autres habitants le croient ? Que se passerait-il si on apprenait qu’une voyageuse errait à Telehem et s’amusait à foncer dans les honnêtes citoyens ?
D’une oreille, Selene guettait le moindre cri, une alerte, une rumeur qui se diffuse, mais rien. Tout semblait rester normale, et aucun des passants qui croisaient la ruelle dans laquelle elle se cachait ne l’aperçut ou ne lui adressa même un regard. La jeune fille finit par retrouver un minimum de sérénité, et bientôt, son corps redevenait celui d’une adolescente lambda habillée d’une simple robe blanche. Elle décida donc de se lever, s’épousseta un minimum, et sortie de sa cachette en regardant de tous les cotés si quelqu’un la voyait, puis regagnait la route d’un air qui se voulait naturel.

Depuis le temps, ses longs cheveux roux avaient séché, et malgré ses courses répétées, elle se sentait toujours fraiche de son bain dans le lac, et bien moins crasseuse que lors de son arrivée dans la ville. Elle prenait machinalement ce qu’elle pensait être le chemin vers l’étable, malgré la crainte d’y trouver un Liam tapis dans l’ombre, et se retrouva malencontreusement dans la zone des tavernes et autres bars animés pendant de longues heures de la nuit d’où émanaient des bruits de fêtes et des rires qui attirent l’attention de la toquée. Du pas le plus souple que lui permettaient ses sabots en cuir trop grands pour elle, la galloise atteignit l’entrée et passa l’encadrement de la porte avec discrétion.
Au centre de la pièce bondée de monde, une sorte de petite scène ronde dont le centre était marqué par une barre en fer qui rejoignait le plafond attirait l’attention de la plupart des clients, alors que les tables et les chaises étaient agglutinées le longs des murs. En effet, une jeune femme aux formes généreuses s’adonnait à une danse provocante vêtue d’une tenue plus minimaliste encore que celle des esclaves de Sextus, remuant ses courbes avec une grâce habiles qui suffisait largement à faire oublier l’adolescente mineure qui pénétrait l’établissement avec une simple robe à demi transparente. Ce n’était pas le spectacle qui l’intéressait, ni les vivas des hommes – et femmes – qui encourageaient la strip-teaseuse à passer aux étapes plus concrètes, mais au moins ici, la toquée se sentirait plus en sécurité que dans une étable sombre avec un violeur cachée dans un coin. Il y avait du monde, et aucun œil ne l’avait encore remarqué. Elle s’assit sur une chaise dans un coin assez proche de la sortie pour évacuer rapidement au cas où, puis enfouit sa tête dans ses bras en s’affalant sur la table de bois imprégnée d’une forte odeur d’alcool. Mais Selene était déjà trop fatiguée pour se relever, et bientôt, tout ce qui se passait autour d’elle n’était qu’un brouhaha indistinct qui l’accompagnait dans son assoupissement.

L’eau fraiche qui ruisselait sur son corps fatigué lui faisait un bien fou. Liam avait l’impression qu’il pourrait passer l’éternité ainsi, immobile dans le silence de la nuit uniquement troublé par le bruit de l’onde qui cascadait sur lui. Mais bien sûr c’était sans compter sur Ella qui après s’être débarrassée de son caleçon l’avait rejoins pour qu’il finisse le travail. Le contact chaud de la petite main de l’enfant sur la sienne le tira de sa rêverie en le faisant légèrement sursauter. Il baissa les yeux et tomba sur le visage suppliant de la petite qui lui tira un frisson qui parcouru son échine alors que la voix de sa fille lui demandait de l’aider. Avant d’avoir pu comprendre ce qui se passait sa main était déjà posée sur le torse de la gamine et le tueur déglutit avec difficulté alors que les souvenirs de la dernière nuit affluaient en lui.

Il ne fallait pas qu’il lui ôte sa chemise. Se retrouver de nouveau nus tous les deux et si proches ne ferait que lui rappeler douloureusement l’erreur qu’Asmodée l’avait poussé à faire. Il se souviendrait de la douceur de sa peau et de combien c’était étroit, de ces petites mains qui l’enlaçaient mais surtout de ce profond désir de se punir en se tranchant la gorge.

- Tu ne…

Le taulard laissa sa phrase en suspens, l’air sombre. De toute la journée c’était la première fois qu’Ella venait vers lui et lui dire de partir la braquerait probablement encore pour longtemps. Il n’avait pas vraiment d’autre choix que de céder à son caprice en refluant tous ces souvenirs douloureux qui le dégoûtaient de lui-même, une fois n’est pas coutume.

Liam prit donc une profonde inspiration, ferma les yeux quelques secondes et finit par se pencher en avant pour déboutonner la chemise de la rouquine pour dévoiler son corps d’enfant à la faible lueur de la lune. Il remarqua avec une grimace les égratignures dues à la chute dans le conduit de la fosse sceptique, mais aussi des bleus qui ressemblaient à si méprendre à la marque d’une main disproportionnée… la sienne. L’envie de prendre son couteau et de finir ce qu’il avait commencé le tarauda de nouveau mais il se contint et acheva d’ôter les vêtements de sa fille pour les poser de côté. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, non de désir mais de peur de désirer. Il ne pouvait s’empêcher de fixer son membre en s’attendant à le voir grandir à tout instant mais son attente fut vaine et peu à peu il réussi à se détendre.

A l’aide du tuyau il se mit à arroser la petite en silence et au bout de quelques minutes de friction ils se retrouvèrent tous deux relativement propres. L’odeur d’immondices avait presque complètement disparue mais il faudrait l’intervention d’un savon pour parfaire le travail, ce dont-ils ne disposaient pas pour le moment. Liam se mit alors en tête de relaver leurs vêtements, toujours en silence et en regardant le moins possible son rejeton toujours nu comme un ver. Au bout de quelques instants il fini par lâcher, l’air contrit :

- Je suis désolé pour ce que j’ai fait dans la tour. Je n’aurais pas dû mais Asmodée… son pouvoir était trop grand pour moi.

Le silence retomba et l’un des dormeurs choisit ce moment pour lâcher un ronflement sonore. Le trentenaire continua sa besogne le cœur serré avant de reprendre en espérant qu’Ella finirait par parler et lui dire qu’elle ne lui en voulait pas, ou à défaut ce qu’elle attendait de lui.

- Tu dois m’en vouloir, c’est normal, mais si tu as quelque chose à dire fais le. Je ne supporte pas de te voir muette comme ça, j’ai l’impression de t’avoir brisé, je ne sais vraiment pas comment réagir. Je… n’ai pas l’habitude d’avoir à me faire pardonner.

Liam pinça ses lèvres fines tout en étendant le dernier vêtement à la porte du box qui leur servait de chambre et se laissa tomber dans la paille. Ses petits yeux noirs fixaient l’enfant dans l’attente d’une réaction quelconque, ses doigts pianotant sur sa cuisse nue.

Liam semblait avoir beaucoup de mal à savoir ce qu’il ferait. L’aider ? Ne pas l’aider ? Lui dire d’aller dormir ? L’accepter avec lui ? Finalement il choisit de l’accepter, ce qui était effectivement le choix le plus judicieux s’il voulait la garder près de lui. Une fois nue, la petite se rapprocha, profitant à son tour de l’eau fraiche. Un peu trop d’ailleurs. Mais son père ne sembla pas s’en apercevoir, ses yeux étant fixés sur tout autre chose. Jetant un coup d’œil à ce qui attirait tant l’attention de son père, la fillette haussa un sourcil. Il lui avait semblé que c’était bien plus gros à la tour… Mais peut être était-ce son imagination qui lui avait joué des tours ? Il faudrait qu’elle éclaircisse ce mystère un de ces jours, mais pas maintenant.

Le tueur avait enfin reposé les yeux sur la petite rouquine et l’avait lavée de son mieux. Sans savon c’était légèrement plus compliqué mais tant pis, depuis le temps qu’Ella n’avait pas pris une douche convenable, ça ne l’atteignait plus. Après quelques instants, son père adoptif se transforma en vraie petite femme de ménage, lavant leurs vêtements avec attention. La petite rousse le regardait faire religieusement, muette comme une carpe. Malgré tout ce qui s’était passé, la petite l’adorait. Il restait son héros, son sauveur, l’homme qui pouvait éteindre le feu.. La fillette retint un léger sourire. Toutes les petites filles voulaient épouser leur papa quand elles seraient grandes, non ? Est-ce que ça comptait quand c’était juste un papa adoptif.. ?

Secouant ses longues mèches humides, la fillette retourna s’asseoir dans la paille tandis que son père étendait le linge. Il était tard et ils auraient du dormir depuis longtemps, Liam et elle, mais elle n’avait pas sommeil. Elle préférait le regarder faire, attendant qu’il se passe quelque chose, qu’il dise quelques mots, qu’il la câline ou.. Enfin..

Ella soupira. Elle faisait la tête, pourquoi Liam lui aurait il parlé ? Le fait est, elle se trompait, puisqu’il choisit ce moment là pour s’excuser. La rouquine hocha la tête. Simplement, elle ne voyait pas en quoi Asmodée avait pu influer sur son envie de mourir.. Son pouvoir devait vraiment être immense.. La fillette voulut lui répondre mais son début de phrase fut interrompu par le sommeil bruyant d’un dormeur. Soit. Elle se tairait. Ou pas, car d’après son père, il fallait qu’elle dise ce qu’elle avait sur le cœur. D’accord…

La fillette attendit que Liam soit assis dans la paille pour aller se blottir contre lui. Relevant la tête vers lui, la petite plongea son regard dans le sien quelques secondes, réfléchissant à ce qu’elle allait bien pouvoir lui dire. Il fallait qu’il comprenne. Mais pour qu’il comprenne, il fallait qu’elle lui explique.. Les yeux de la petite tombèrent sur le pansement de son père adoptif et s’assombrirent. C’était un bon début. Passant le bout des doigts sur le pansement, la petite commença.

- .. Je t’en veux.. Pour ça.. Parce que j’ai pas compris.. Pourquoi tu voulais partir.. Pourquoi tu veux toujours partir sans moi.. Je te l’ai déjà dit.. T’as pas le droit, t’as pas le droit et tu le fais quand même alors je me fâche, voila, je t’avais prévenu ! Et tu l’as quand même fait ! Moi je veux pas que tu partes.. Je veux pas.. Je veux que tu me gardes..

Ella fronça les sourcils et se cala dans le cou de son père. Du bout des doigts, sa petite main caressait la nuque du prisonnier, lentement. Plus doucement, la rouquine reprit, presque murmurant.

- Je veux tes câlins.. Tous tes câlins.. Je les veux.. Que pour moi.. Pas les autres..

Une fois qu’il se fut laissé tomber dans la paille Ella ne mit pas longtemps à le rejoindre pour se blottir contre lui. Il se sentait toujours mal à l’aise vis-à-vis de leur nudité mais commençait à mieux le vivre, peut-être simplement parce qu’en l’absence d’Asmodée il ne ressentait aucune envie de bondir sur l’enfant le sexe en avant. Les yeux de Liam rencontrèrent ceux de la petite, un regard profond et troublant qui poussa le taulard à s’interroger une fois de plus sur la raison qui poussait sa fille adoptive à l’aimer. Plus il apprenait à connaître Ella, plus l’impression qu’elle était encore plus tordue que lui grandissait dans sa caboche mais il s’en fichait bien. Si elle l’acceptait comme il était il pouvait bien lui rendre la pareille, sans parler du fait qu’il était bien plus facile pour lui d’apprécier ce genre d’enfant que ces chères têtes blondes niaises, naïves et pourtant déjà profondément égoïstes qu’on croisait partout dans le monde réel.

La rouquine effleura le pansement sur le cou du trentenaire, l’air grave, avant de se mettre enfin à parler. Ce qu’elle finit par dire était si inattendu que Liam en resta sur le cul. Alors elle ne lui en voulait pas pour ce qu’ils avaient fait dans la tour mais… parce qu’il avait tenté de se tuer ?

Elle exprimait clairement le fait qu’elle avait voulu le punir parce qu’il avait voulu la laisser seule, et le moins qu’on puisse dire était qu’elle avait réussi. Après tout son mutisme avait tourmenté le tueur toute la journée, et il ne savait pas s’il devait la réprimander ou se réjouir qu’enfin quelqu’un veuille le voir vivant plutôt que mort. Mis à part Ella il ne voyait pas une personne qui ne lui aurait pas tendu le couteau avec le sourire, ou mieux s’en servir lui-même. Sa paternité encore nouvelle l’empêchait de réagir correctement, il se contentait donc d’écouter en silence jusqu’à ce que les paroles de la gamine soit si étonnantes que ses yeux s’écarquillèrent de stupeur.

Est-ce qu’il avait bien entendu ce qu’il avait cru entendre ?!

Le regard d’Ella, ses caresses, ses paroles et son ton envoyaient tous le même signal : on aurait dit ni plus ni moins qu’elle lui faisait du gringue. Par « tous tes câlins »… parlait-elle aussi de faire la bête à deux dos ? Parce que plus elle parlait plus son discours ressemblait à celui d’une femme possessive. Dire « ne couche qu’avec moi » aurait été tout aussi clair, le problème étant qu’il n’avait aucune envie de recommencer à s’envoyer en l’air avec sa gosse, et qu’il se savait incapable de ne pas avoir de rapports sexuels pendant une longue période. Même une courte d’ailleurs…

Son petit doigt lui disait qu’il allait devoir attendre qu’elle dorme pour faire ses petites affaires pendant très longtemps, à moins qu’il arrive à expliquer à l’enfant sa pathologie, ce dont il n’avait aucunement envie. Liam finit donc par attraper fermement la main d’Ella et plongea ses yeux noirs dans les siens, l’air sombre :

- Je ne partirais plus, je n’essaierais plus de me blesser et je te ferais des câlins… mais pas tous les câlins. Il y a des choses qu’on ne doit pas faire ensemble parce que… parce que tu es ma fille voila tout. Il y a les câlins qu’on fait à sa femme et ceux qu’on fait à ses enfants. Ils sont différents tu comprends ?

Le taulard déposa un baiser sur le front de la rouquine et caressa ses cheveux, ramenant l’une des mèches de l’enfant derrière son oreille. Il la contempla un moment l’air pensif avant de reprendre en choisissant ses mots :

- Tu sais qu’on est tous allé voir le docteur Parkinson, hein ma puce ? Toi c’est parce que tu as peur du feu, et moi c’est parce que j’ai besoin de faire beaucoup, beaucoup de gros câlins. Ceux que je n’ai pas le droit de te faire. Je ne peux pas m’arrêter comme ça même si je le veux vraiment, alors je risque d’aller voir d’autres gens, des grandes personnes pour ce genre de câlins. Mais ce n’est pas pour autant que je t’aime moins… je t’aime plus que ton mon cœur.

Et il le pensait. Mis à part son premier amour qui avait mal tourné Liam ne se souvenait pas avoir jamais aimé quelqu’un, et encore moins aussi fort que ce qu’il ressentait pour ce petit bout de femme. Il avait l’impression qu’elle était celle qui lui permettrait de se racheter et c’était primordial qu’elle comprenne la place qu’elle occupait dans son cœur.

De toutes façons si Ella avait su les pensées violentes, perverses et sadiques qui traversaient Liam lors de ses aventures d’une nuit et son plaisir malin de faire souffrir les gens par ce moyen elle se serait peut-être montrée moins enclinte à en profiter. Quoi que, avec cette gamine on ne pouvait être sûr de rien.